Le mouvement des dockers de la semaine passée, puis
l’heureux dénouement (voir intérieur du journal) de l’affaire viennent nous
rappeler que le corporatisme est l’une des voies de sortie du carcan
traditionnaliste qui nous confine dans une logique tribale et sectaire.
Il y a un an, deux ans, trois ans…, tout mouvement de
contestation est manipulée de l’intérieur par voie tribale, ethnique ou
politique partisane. C’est, je pense, l’une des raisons, des échecs successifs
des mouvements revendicatifs. Cela finissait fatalement par l’intervention de
segments extérieurs à la corporation qui cherchent à diluer la contestation
dans des démarches individuelles visant telle ou telle catégorie.
Les notables sont mobilisés pour amadouer ceux qui
répondent à l’appel des leurs. Les chefs de partis politiques et ceux des
syndicats interviennent auprès de leurs militants. Les intermédiaires se
multiplient parce qu’ils attendent une contrepartie. Et se perdent les intérêts
des concernés en cours de route…
Le mouvement de grève entamé par les dockers n’est pas le
premier. Mais il a pris cette fois-ci, le tournant qu’il fallait. Avec des
négociations ouvertes avec les autorités, une expression claire des doléances,
un refus de la manipulation politicienne et un dénouement avec la satisfaction
de certaines doléances.
Cela nous enseigne - à tous, partis, syndicats, Etat…-
qu’il y a quelque chose de fondamentalement changé dans ce pays. Notamment dans
l’exercice de la liberté d’expression. Désormais, vous avez des journaliers qui
manifestent en tant que tels, les personnels du PNP (le fameux personnel non
permanent), les dockers… Avant, chacun cherchait à résoudre son problème en le
posant au cousin introduit dans le système, tous attendait un «moment
favorable», une «opportunité» de se faire connaitre par un syndicat
ou un parti. Aujourd’hui, le mouvement de prise en charge de soi apparait dans
chaque corporation. Tant mieux.
Il vaut toujours mieux à l’autorité publique de traiter,
non pas avec des individus ou des syndicats qui sont loin de la réalité de
terrain, qu’avec les représentants dûment mandatés par les concernés. Les
interlocuteurs auront toujours une meilleure vision, une plus grande
disponibilité et une assurance plus forte que tous les intermédiaires qui
pourront se présenter. Il s’agira alors de définir les demandes qui pourront
être satisfaites et d’éliminer celles qui ne le peuvent pas. D’un commun
accord.
Ce sont en fait ces corporations qui donneront une nouvelle
classe de dirigeants syndicaux et même politiques (pourquoi pas ?), mieux
outillés et plus représentatifs de la classe laborieuse, pour ne pas utiliser
un terme qui porte à équivoque (classe ouvrière).
Cette montée du corporatisme - dans son sens le plus
originel, celui qui indique qu’il s’agit d’une communauté d’intérêt et non de
sang ou d’association maffieuse – est aussi à la base de la construction
citoyenne de l’individu. Parce qu’elle est une forme d’émancipation de
l’individu par rapport au carcan de domination sociale. En se libérant,
l’individu mauritanien, prend conscience de lui-même, de ses droits et accède à
l’échelon supérieur qui est celui de voir se développer la volonté d’acquérir
et de défendre ces droits. Ici nait la citoyenneté.
Nous n’avons donc pas à nous plaindre. Nous autres
journalistes devons accompagner ce mouvement qui est un pas sur la voie de la
démocratisation de la vie sociale. L’Etat doit y voir la possibilité pour lui
de s’affranchir du diktat des manigances politiciennes. Comme c’est l’occasion
de soigner cette image négative qui en fait un instrument de domination aux
mains du plus fort. Les acteurs politiques et syndicaux doivent éviter toute
velléité de vouloir instrumentaliser ces mouvements revendicatifs…
Toute l’élite doit regarder cela comme mouvement «naturel»,
salvateur dans la mesure où il nous sort d’une logique particulariste et qu’il
nous pousse vers plus de liberté et de solidarité sur des bases plus saines et
plus cohérentes.
Dans «La mort heureuse», Albert Camus nous apprend
que «ce sont les travailleurs manuels et intellectuels qui ont donné corps à
la liberté, et qui l’ont fait avancer dans le monde jusqu’à ce qu’elle devienne
le principe même de notre pensée, l’air dont nous ne pouvons plus nous passer,
que nous respirons sans y prendre garde, jusqu’au moment où, privés de lui,
nous nous sentons mourir».
Les manifestations de chômeurs, de «journaliers», de PNP,
de retraités, de dockers… sont plutôt un bon signe de santé sociale et de
vitalité… «démocratique».
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