Le monde selon Ould Ahmed Zeidane
Sid’Ahmed Ould Ahmed Zeidane est un monument de la culture de l’espace Bidhâne… sans doute le dernier à jouer une tidinit (luth traditionnel) authentique, à réciter tous les «bett» et autres panégyriques dédiés à la gloire des héros des épopées de cet espace qu’on appelle ailleurs «l’espace Maure»…
Ould Ahmed Zeidane, affaibli par l’exercice de son art qu’il voit dépérir dans une société de moins en moins attachée à ses valeurs premières, ce Ould Ahmed Zeidane résiste encore aux assauts de la guitare électrique, aux chansonnettes fredonnées plus que chantées sur des rythmes endiablés confectionnés grâce à l’électronique…
Un hawl de Ould Ahmed Zeidane est d’abord destiné à raconter les épopées qui se confondent avec l’histoire des groupes… surtout de celui des Awlad M’Barek, cette tribu guerrière appartenant à la lignée M’Ghafra faisant partie de la seconde vague des Hassane venus dans ces contrées à partir du 15ème siècle et dont la plus grande réalisation reste l’arabisation effective et complète de l’espace berbère saharien. De cette conquête victorieuse sont nés les Emirats (Trarza, Brakna, Adrar) et chefferies (Awlad M’Barek notamment). Est né aussi la structuration de la société Bidhâne (Maure) qui a survécu aux siècles d’évolution, à la colonisation et à l’Etat moderne se voulant égalitaire. Et, last but not least, est né le Hassaniya, ce dialecte qui a fini par être parlé dans tout le Sahara de l’ouest et une partie de son centre et qui unit aujourd’hui une aire culturelle qui compte une vingtaine de millions de personnes dont un peu plus de deux en Mauritanie qui reste un pays dédié à l’origine à cette population… du moins dans l’esprit de ses concepteurs (les colons avec notamment l’esprit Coppolani)…
Quand Ould Ahmed Zeidane joue sa tidinit, c’est avec passion. Quand il parle, c’est avec passion. Ce qu’il dit ne souffre pas la contradiction. D’ailleurs pourquoi contredire. N’est-ce pas la beauté des propos, le caractère extraordinaire du récit, la mélancolie que le jeu des cordes provoque, n’est-ce pas cela le plus important ? Parce que c’est l’art qui importe, pourquoi s’attarder sur le fait de savoir si les faits sont exacts ? Peu de gens acceptent cela aujourd’hui…
Je ne connais pas de griots qui récitent aujourd’hui les trois «bett» qui célèbrent «el kars», partition composée à l’origine en l’honneur de Mohamd Ammash Ould Amar, le premier de la lignée Amar Ould Eli et à qui Sid’Ahmed Wul Awlil, griot, praticien émérite de la tidinit et du verbe, avait dit : «Wul A’mar Wul Eli doumouli yelkhallag» (Que Dieu préserve pour moi Wul A’mar Wul Eli). Remplacé par son frère Eli Bouserwaal qui assassinat son frère Hennoun pour éliminer la concurrence, Wul Awlil composa pour le nouveau chef : «Wul A’mar Wul Eli marayt illi kiivu» (je n’ai vu de pareil à Wul A’mar Wul Eli). Puis Khattri vengea la mort de Hennoun et il lui composa : «Wul A’mar Wul Eli la dawar vi dayn» (ne rien devoir à Wul A’mar Wul Eli, je l’espère pour moi). Toutes les compositions ont gardé la rythmique, les notes… Ce qui fait aujourd’hui la confusion.
Guirit maça, guirit Ehl çabay, ntrish, el vayez, lehjib, le’seyri… des titres de partitions associés aux noms de héros de l’épopée Awlad M’Barek qu’il est difficile de dissocier de celle des Idaw’ish.
Cette dernière tribu, la seule tribu non arabe (d’origine) qui a pu résister aux poussées conquérantes et créer une dynastie et un Emirat régnant sur le Tagant. Cette tribu-là doit beaucoup à Seddoum Wul N’Diartou, le plus grand des poètes de l’espace Bidhâne.
Surnommé «l’idéologue de l’Emirat Idaw’ish», Wul N’Diartou incarne parfaitement ce que le griot doit être à la société : une sorte de ministre de la communication, un appareil de propagande qui doit allier le soutien absolu au recul qui permet d’imposer de nobles valeurs, de grands desseins et une belle âme à celui que l’on chante… Rien à voir à nos flatteurs modernes qui trouvent la vertu là où elle n’est pas, qui ne se soucient que de la prodigalité vulgairement exprimée…
Pas le temps de tout dire sur ce qu’inspire une compagnie aussi riche, aussi agréable que celle de Sid’Ahmed Ould Ahmed Zeidane… Juste l’occasion de rappeler que le jour où le pays pleurera ce vieux griot, il aura perdu une partie importante de son patrimoine culturel et civilisationnel. Ce sera dommage.
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