lundi 22 septembre 2014

La révolution ratée (1)

Selon Mohamed el Mokhtar Echinguitty, l’un des théoriciens et intellectuels de la mouvance islamiste mauritanienne qui est établi au Qatar où il enseigne, le «printemps arabe» a bien produit «une révolution», sinon «il n’y aurait pas eu de contre-révolution dans les pays concernés par ce printemps». L’on a envie de discuter cette perception des soulèvements sociaux de 2010-11 qui ont eu pratiquement la même destinée.
Le cas tunisien qui est encore en gestation et son issue reste incertaine au regard des risques réels que lui font courir les extrêmes (islamistes et athées, l’un et l’autre croyant détenir une Vérité à imposer aux autres). C’est donc une exception qui peut trouver son explication dans le niveau d’éducation en Tunisie, dans l’ancrage de l’Etat et le parcours historique qui fait qu’au milieu du 19ème siècle, ce pays avait déjà sa Constitution, comme il fut le premier – avant la France – à abolir l’esclavage. L’existence aussi d’un idéologue tunisien qui a fait toutes ses relectures pour enfin choisir d’inscrire son action et celle de son groupe dans le sillage de la bataille pour la modernisation de nos sociétés. Rachid Ghanouchy quoi qu’en disent ses détracteurs, a pesé de son poids pour éviter à la Nahda, le mouvement islamiste qu’il inspire et dirige, de verser dans le sectarisme. Trouvant une forme d’équilibre – temporaire peut-être – entre forces politiques et sociales permettant une transition qui va durer certainement le temps de trouver le système politique qui stabilise les institutions tunisiennes.
Mais qu’en est-il des autres pays ? De l’Egypte où la «voracité» des Frères Musulmans les a empêchés de regarder où ils mettaient le pied et sur quel trépied fallait-il s’appuyer pour faire les premiers pas. Le trop d’engagement en vue de pacifier les relations avec l’Occident – y compris en continuant à promouvoir la normalisation avec Israël – les a éloignés de leurs principes, les démystifiant du coup aux yeux de leurs soutiens et sympathisants. La volonté de tout accaparer tout de suite leur a fait commettre des fautes qui ont entrainé les fractures provoquant et justifiant le coup d’Etat de l’Armée. Remettant à jour la question de savoir si le monde arabe avait ou non atteint la maturité qui lui permettrait d’assumer un système qui conduit à l’alternance pacifique au pouvoir. N’oublions pas que toute l’Histoire de l’espace arabe n’a jamais vu le pouvoir passer d’une main à l’autre que par la force qui le prend ou par la légitimité du droit à la succession.

En Libye, l’interférence de puissances étrangères aux côtés des rebelles s’explique par le soutien accordé par certains pays pétroliers dont le Qatar aux opposants libyens affiliés à la confrérie des Frères Musulmans. Mais la stratégie adoptée qui fit de la destruction de la Libye un objectif à atteindre en même temps que la destitution du dictateur Kadhafi, cette stratégie a laissé derrière elle un chao dont il est impossible de sortir à présent. La guerre civile fait aujourd’hui des victimes, la partition du pays semble inévitable et aucune révolution n’a eu lieu.
En Syrie, les revendications légitimes des populations ont vite été récupérées par des organisations islamiques – modérées ou radicales – fortement soutenues par les mêmes monarchies pétrolières qui ont poussé vers la déstabilisation de toute la région. Les protestations pacifiques se sont vite transformées en affrontements armés. La Syrie est devenue le théâtre de guerres d’influences entre factions radicales de l’islamisme politique violent, chacune dépendant plus ou moins étroitement de l’une des monarchies. En moins de trois ans, la Syrie est effectivement détruite sans qu’il y ait une avancée démocratique.
Au Yémen, la situation est celle que nous suivons en ces jours où la faction des Huthiyine a réussi à occuper la capitale et à imposer la démission du gouvernement. Ce ne sont pas les gesticulations de l’Envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU qui vont empêcher ce pays de sombrer une fois encore dans le chao.
En Irak, c’est bien la «révolution» promue et finalement réalisée par l’Armée américaine, c’est cette révolution qui a fait de ce pays une contrée du Tiers Monde où la misère et la malnutrition font désormais partie du quotidien des populations. La naissance et le développement du phénomène des bandes armées dont celles de l’Etat Islamique, font partie du plan de partition de la Nation irakienne. Le chao d’aujourd’hui s’explique largement par la bêtise qui a été à la base de l’action de «la communauté internationale» qui s’est contentée de suivre aveuglément George W. Bush dans son entreprise revancharde.
…A qui la faute ? Aux Occidentaux bien sûr qui ont à chaque fois privilégié l’utilisation sans discernement de la force à la réflexion profonde qui prend en compte toutes les problématiques qui pourraient surgir. A leurs alliés arabes : les Etats qui, pour masquer leurs situations intérieures (arriération, arbitraire, inégalité, injustice), ont adopté une fuite en avant en légitimant le recours à la violence des pays Occidentaux ; les avant-gardes politiques dont les Frères Musulmans et avant eux les Libéraux (toutes tendances confondues) qui ont cru qu’en accompagnant «la communauté internationale» dans ses aventures, elles trouveraient une place sur l’échiquier du nouvel ordre promis par les maîtres du jeu.
Les Islamistes, comme toutes les avant-gardes du Monde arabe, se sont trompés quand ils ont cru qu’un ordre plus juste, plus équitable importait vraiment quand il s’agissait de bouter Saddam Hussein du pouvoir. Ils se sont trompés nouvellement quand ils ont cru que le mouvement social qui a secoué les pays en 2010-11 serait promu par les Etats Unis et leurs alliés pour en faire une révolution et asseoir un système politique nouveau. Ils continuent de se tromper en nous servant «un projet révolutionnaire» concocté dans les cercles de réflexion financés et entretenus par des monarques rétrogrades servant les intérêts des plus forts.

dimanche 21 septembre 2014

Rentrées

Il y a d’abord la rentrée scolaire qui se prépare. Deux ans après la tenue des Etats généraux de l’éducation, nous attendons toujours la mise en œuvre de leurs recommandations. Avec le ministre actuel, Ba Ousmane, on espère que la réforme tant attendue (et espérée) prendra forme. Malgré la lourdeur de l’héritage et les difficultés à trouver par où commencer, le défi est bien celui de donner l’impression que quelque chose sera fait au plus vite. Des petites actions immédiates : mesures visant l’encadrement plus strict de l’enseignement privé, c’est par là qu’il faut commencer si l’on veut obliger à redorer le blason de l’école publique ; imposer la carte scolaire pour accompagner la politique de regroupement des populations ; exiger l’assiduité des personnels d’encadrement des établissements ; équiper les classes, les laboratoires quand il y en a ; s’assurer que les écoles ne sont pas inondées et qu’elles peuvent recevoir élèves et enseignants ; lancer un programme de restauration des cantines et internats…
Je me souviens que pendant des décennies, l’essentiel pour le ministère c’était de passer l’année sans mouvements de grèves ni chez les élèves ni chez les enseignants. Rien d’autre ne comptait. Ni le niveau qui baissait continuellement. Ni le système qui se délitait inexorablement. Ni les programmes qui disparaissaient fatalement. Ni la qualité qui avait fini par ne plus être recherchée. Des années durant, nous avons formé des cancres dont la plupart sont aujourd’hui sollicités pour essayer de remettre le train en marche. Tellement de choses à faire, à entreprendre pour envisager de penser à mettre en œuvre une réforme. C’est le challenge pour le ministère en cette rentrée scolaire.
La rentrée politique ensuite. Comme on ne sort jamais d’un cycle, on a toujours l’impression qu’il n’y a pas eu de trêve, de vacance. Même si j’ai entendu certains leaders prétexter les vacances pour expliquer leur absence de la scène, il est sûr que la rentrée n’a pas été préparée.
Pour l’Union pour la République (UPR, chef de file de la Majorité, parti au pouvoir) il n’y a pas eu de vacances parce que les semaines dernières ont vu la direction changer de président et de vice-président. Alors que l’Appareil exécutif est resté le même, avec notamment le nouveau Premier ministre comme Secrétaire exécutif, ce qui constitue quand même une anomalie. Le prétexte trouvé est la prochaine implantation du parti qui doit se dérouler en octobre et qui sera l’occasion de refonder l’UPR sur des bases nouvelles. Du coup, la réunion d’aujourd’hui servira à discuter de la situation générale et à donner la parole aux membres du Conseil national – du congrès extraordinaire – qui le voudraient.
De l’autre côté, le parti Tawaçoul peine à prendre la place qui lui sied depuis qu’il a l’Institution de l’Opposition démocratique en mains. Il a fait parvenir au Conseil Constitutionnel le nom et les qualités de son candidat au poste de Chef de file de l’Opposition. En attendant l’officialisation de cette désignation, on ne voit pas encore ce que fera le parti islamiste de l’Institution de l’Opposition, surtout par rapport à son engagement au sein du Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU), l’un excluant l’autre. En effet, le FNDU est né sur les cendres de la COD (coordination de l’opposition démocratique n’ayant pas survécu aux élections Législatives et Municipales) qui a été conçue pour contourner voire tuer l’Institution de l’Opposition Démocratique. La redynamisation de cette Institution passe nécessairement par la mise à mort du FNDU. Les leaders de Tawaçoul sont les premiers à savoir combien il est important pour eux de faire revivre l’Institution au moment où elle parait l’unique cadre de dialogue possible avec le Pouvoir. Comment vont-ils procéder ?
Pendant ce temps, la Coalition pour une Alternance Pacifique (CAP regroupant l’APP de Messaoud Ould Boulkheir, Wiam de Boydiel Ould Hoummoid et Sawab et Abdessalam Ould Horma) tente de reprendre l’initiative par un appel au dialogue. Sera-t-il entendu et par qui ?
De son côté, l’Union des forces du progrès (UFP) entame un nouveau processus de recherche d’un «compromis national» depuis la dernière réunion de ses instances dirigeantes. Même si les propos de ses leaders laissent entrevoir une nette tendance à la quête d’un apaisement, on s’abstient encore de faire le pas décisif qui signifiera la rupture avec le radicalisme dans lequel confinent les positionnements antérieurs.
Il faut compter avec toutes ces expressions inspirées par le communautarisme et alimentées par les problèmes du présent et les tares héritées du passé récent ou ancien. Ceux qui, au nom des revendications liées à la cohabitation des communautés, cultivent des discours qui prennent facilement l’allure de particularismes dangereux. Tantôt par la stigmatisation d’une ou de plusieurs communautés, tantôt par l’instrumentalisation de misères et de frustrations sociales réelles qui méritent d’être une cause pour tous et non pas un slogan pour quelques-uns.
La reconnaissance du RAG, bras politique de l’organisation IRA de Birame Ould Abeidi, et celle des Forces progressistes pour le changement (FPC, anciens FLAM) est nécessaire à la normalisation de ces expressions qu’on trouve souvent excessives. Par la formalisation de cet activisme, on pourra espérer alors qu’un dialogue serein autour de questions somme toutes fondamentales, que ce dialogue soit possible. L’unique manière de démystifier les dogmes et d’exorciser les vieux démons.

…Oui, les rentrées sont nécessairement risquées si le courage, l’abnégation, l’intelligence, la Raison et l’engagement ne sont pas au rendez-vous. A vos marques donc !   

samedi 20 septembre 2014

Reboiser encore

La relance de l’opération reboisement dans le cadre de la Grande Muraille Verte sahélienne, nous donne l’occasion de faire les constations suivantes :

  • Il y a quelques 25 ou 30 années, était lancé à Nouakchott le grand projet de la Ceinture Verte. Il doit avoir coûté quelques milliards sans compter les mobilisations gigantesques et théâtrales dans le cadre des Structures d’éducation de masses (SEM, organe politique du Comité militaire des années 80). Ce projet qui avait réussi quand même à stabiliser le front dunaire au nord de Nouakchott et sans doute à atténuer les effets de la sécheresse sur le microcosme de la capitale, ce projet a disparu aujourd’hui. A ses lieux et places toute cette zone qui prolonge Tevraq Zeina au nord et qui a fait partie de la contrepartie du marché de l’aéroport international en construction. On a rasé la ceinture verte pour permettre la construction de nouveaux quartiers résidentiels.
  • Depuis quelques années, le cycle hivernal plutôt heureux, a permis une régénérescence du couvert végétal à l’intérieur du pays. Dès qu’on sort de Nouakchott, on constate le retour d’une végétation qui promet d’être luxuriante et qui rappelle déjà le temps d’il y a longtemps, quand il était encore difficile de se mouvoir à cause des épineux qui couvraient le sol. Sur toutes les routes, celle allant vers les régions est, celle allant vers celle du sud, celles allant vers le Nord et le Nord-Ouest, partout vous remarquerez cette vie qui reprend et qui promet la restauration de l’environnement d’antan. Partout vous remarquerez aussi les constructions qui poussent dans le désordre, en dehors de tout plan d’urbanisation et au détriment de l’environnement.
  • Si le département de l’environnement veut rendre service à la Mauritanie, il se doit de classer des territoires entiers et de les interdire à toute habitation sédentaire. La réorganisation de l’espace est la condition sine qua non de réussite pour ces projets de regroupements des populations qui doivent servir à quelque chose.

vendredi 19 septembre 2014

C’est ce que les nôtres avaient redouté

En trois semaines, le contingent tchadien basé au Mali dans le cadre de la mission de maintien de la paix dans ce pays (MINUSMA) a perdu dix soldats. Suffisant pour que les autorités de ce pays dénoncent ce qu’elles considèrent désormais comme la conséquence d’un dispositif «discriminatoire» qui fait de leurs soldats une sorte de chaire à canon. Dans un communiqué publié à la suite du dernier attentat qui a coûté la vie de cinq soldats tchadiens, le gouvernement dit avoir constaté «avec regret que son contingent continue à garder ses positions au Nord-Mali et ne bénéficie d’aucune relève. Pire, notre contingent éprouve des difficultés énormes pour assurer sa logistique, sa mobilité et son alimentation». C’est que le gouvernement tchadien voit que son contingent est «utilisé comme bouclier aux autres forces de la MINUSMA, positionnées plus en retrait». Ce qui explique l’ultimatum adressé par les autorités tchadiennes qui promettent de «prendre les mesures qui s’imposent». Menace de retrait à peine voilée : «un délai d’une semaine est accordé à la MINUSMA pour opérer les relèves nécessaires et mettre à la disposition du contingent tchadien tous les moyens destinés à l’accomplissement de sa mission».
Cité par une dépêche de l’AFP, un officier tchadien a déclaré qu’«à la date du 24 août, il n’y avait même pas une radio à Aguelhok pour communiquer avec les autres localités. C’est grave. Nous vous demandons si c’est parce que sommes des Noirs que nous n’avons pas droit aux mêmes mesures de protection que les autres troupes». Avant de prévenir : «mais si ça continue, nous allons plier bagages».
Quand la France avait sollicité une participation mauritanienne à l’effort de guerre au Mali, la Mauritanie avait, dans un premier temps conditionné cet apport par une demande expresse du gouvernement de transition d’alors. Ce qui fut fait. Mais ce gouvernement s’était empressé d’ajouter qu’il voulait confiner l’éventuel contingent mauritanien dans la région de Douenza, non loin de la frontière avec le Burkina Faso, à des milliers de kilomètres des frontières avec le pays. Les Mauritaniens avaient alors refusé parce la région indiquée était trop loin de leurs bases arrières et ils savaient parfaitement qu’ils seraient plus exposés que toutes les autres forces africaines présentes.
D’une part parce que cette guerre les concernait à ce moment-là plus que les Sénégalais, les Burkinabés, les Togolais ou même les Tchadiens qui ont fini par payer le prix le plus lourd. Ce sont bien les Tchadiens qui vont palier la faiblesse voire l’incapacité des autres troupes africaines pour se retrouver à l’avant-garde du front terrestre, comme boucliers devant les troupes françaises engagées au sol. Pendant Serval et après Serval, pendant la MISMA (mission africaine) et avec la MINUSMA, ce sont bien les Tchadiens qui vont souffrir de leur engagement réel au combat.
Les Mauritaniens étaient d’autre part aguerris pour faire face aux troupes et méthodes jihadistes. En effet, l’Armée mauritanienne est sortie de sa confrontation avec AQMI plus forte, mieux équipée et surtout beaucoup plus mobilisée qu’elle ne l’était avant. Elle est la seule à avoir pris les devants, anticipant le projet de AQMI de faire des régions sahariennes, un Jihadistan comme cela se fera plus tard en Irak et au Levant (avec Da’ish et l’Etat islamique). Quand elle faisait face et qu’elle agissait, aucun des Etats riverains, y compris le Mali, n’a voulu lui porter main forte. Au contraire, le pays fut critiqué pour son engagement, certains des «amis» allant même jusqu’à le trahir en donnant des renseignements à AQMI et ses acolytes.
Quand il s’est agi de Serval, les Mauritaniens ont compris que ce n’était pas leur guerre. Ils se sont contentés de bien tenir leurs frontières. Quand il s’est agi des forces internationales – MINUSMA -, les nôtres ont compris que ce n’était pas encore le moment de se laisser entrainer dans un bourbier qui ne dit pas son nom. Aujourd’hui, les faits leur donnent raison : il serait arrivé à nos troupes ce qui arrive aujourd’hui aux Tchadiens (et même pire), avec ce sentiment d’être payés pour mourir à la place des autres.

C’est le lieu de saluer cette anticipation qui a permis au pays de ne pas s’engager dans une guerre qui n’est pas encore - ou qui n’était plus - la sienne. Même s’il faut surveiller ce qui se passe de très près tout en évitant d’y prendre part tant qu’il s’agit d’une guerre de prestige d’un Président, François Hollande qui en manque terriblement.

jeudi 18 septembre 2014

Les banques, encore les banques

Le retrait de l’agrément de Tamkeen Bank par le Conseil monétaire de la Banque Centrale de Mauritanie, relance les polémiques autour du système bancaire mauritanien et au-delà du système financier.
Les premiers commentaires n’ont pas manqué de rappeler le cas de la Maurisbank, absente depuis quelques semaines à la séance de compense de la BCM. Mais l’on a évité de parler de la source des dysfonctionnements de ce système qui est d’abord liée à la faiblesse de la direction de la supervision bancaire. Une direction qui n’a jamais, par le passé, pu (ou voulu) imposer son autorité aux banques primaires et institutions financières de la place.
C’est bien l’absence d’une telle autorité qui explique la multiplication exponentielle des agréments qui se chiffrent à une vingtaine pour les banques et à beaucoup plus pour les institutions financières spécialisées. Une autorité qui vient de s’exercer sur le cas de Tamkeen Bank dont le projet avait été initié par des opérateurs koweitiens, libanais et mauritaniens.
Le Conseil monétaire a, au cours de sa réunion du 11 septembre, «constaté que les actionnaires de la banque n’ont pas libéré le capital dans les délais prévus par la législation en vigueur». Par conséquence, il a retiré l’agrément. L’ordonnance 2007-20 réglementant les établissements de crédit explique en son article 18 que «le retrait de l’agrément est prononcé par la Banque Centrale, soit à la demande de l’établissement de crédit, soit d’office lorsque l’établissement de crédit concerné : a) ne remplit plus les conditions au vu desquelles l’agrément lui a été accordé ; b) n’a pas commencé son activité dans un délai de douze (12) mois à compter de la date de notification dudit agrément après mise en demeure non suivie d’effet».
Pour revenir aux causes profondes du «mal bancaire», il faut noter que la prolifération des institutions financières (entre banques et établissements) a été justifiée par le boom pétrolier et minier prévisible alors. Mais rien n’a été fait pour atténuer les effets de la crise de ces deux secteurs économiques et de la désaffection qui en a résulté. L’effet boomerang de la crise, mais aussi des dysfonctionnements dans la gestion des secteurs pétroliers et miniers est pour quelque chose dans la saturation du système bancaire. Trop de banques pour une activité qui ne suit pas forcément.
Autre source de crise, l’existence de systèmes financiers parallèles spécialisés dans le crédit. La manifestation de l’existence de ce système se trouve dans le phénomène dit «chipeco». Quand les parents des victimes de ce système de crédit manifestent pour réclamer la fin du régime de «la contrainte par corps», ils se trompent de cible. Ce qu’il faut combattre – et amener les autorités à combattre – c’est le système parallèle de crédit et les taux usuriers qui s’y pratiquent. C’est quand même un exercice illégal d’une activité réglementée et dans des conditions légalement réprimées. Aux autorités de combattre le phénomène en le ramenant dans le formel. C’est le moment pour le ministère de la justice d’agir, surtout que son locataire actuel Sidi Ould Zeine est un banquier qui connait parfaitement de quoi il s’agit.
La détention par des particuliers de fonds à même de servir dans des opérations financières, indique aussi que la bancarisation est restée faible malgré les nouveaux billets et les campagnes entreprises par la BCM pour obliger les détenteurs de gros fonds à les déposer dans les banques.
Il y a aussi l’effet de ce nouveau système bancaire d’inspiration islamique. C’est bien dans le cadre de l’encouragement de l’adoption de ce système que nombre de banques et d’officines ont eu l’agrément. Mais est-ce que la direction de la supervision bancaire a suivi cette explosion de «produits financiers islamiques» ? est-ce qu’elle s’est réellement dotée de moyens légaux pour assurer une réelle surveillance et un contrôle efficace du volet islamique de l’activité bancaire ? Dans le cas par exemple de la Maurisbank – parce que tout le monde semble se focaliser sur cet exemple – que peut la Banque Centrale quand cette institution a le droit d’invoquer l’interdiction pour elle de traiter les créances à intérêt ? En l’absence d’un contrôle efficace, le secteur financier islamique en Mauritanie, n’est-il pas devenu une simple formalisation des activités de blanchiment d’un argent «politique» avec des émetteurs et des destinataires occultes ?
L’on ne peut terminer ce rapide tour d’horizon – qui reste superficiel tant que des enquêtes ne sont pas menées sur le secteur bancaire – sans noter le poids de ce système sur la communauté nationale qui a plusieurs fois payé ses déboires. Sans retour dans la mesure où il peine à jouer le rôle qui doit être le sien dans le développement du pays. Si les banques «traditionnelles» ont failli, c’est que les autorités chargées de faire respecter les lois et règlements en la matière l’ont voulu si elles n’y ont pas franchement contribué. 

mercredi 17 septembre 2014

De l’ami Kane Hamidou Baba

A la suite d’un posting qui a visiblement suscité beaucoup de réactions – parfois des incompréhensions chez certains de mes amis -, j’ai reçu ce message de mon ami Kane Hamidou Baba, président du Mouvement pour la Reconstruction (MPR). Comme je fais d’habitude, je le partage sans commentaire, comme si je le traitais en droit de réponse. L’occasion de rappeler à mes confrères qu’un «droit de réponse» est nécessairement accordé à une personne ou une institution ayant jugé qu’elle a été citée dans un article sans lui donner la possibilité de se prononcer sur les questions soulevées, non à quelqu’un qui n’a pas été cité et qui se contente de prendre la défense d’un allié ou d’un payeur.
Je sais cependant que le texte ici est plus une réponse-clarification à un ami qu’un droit de réponse.

«Cher ami, Bonjour,
Je suis à l’étranger depuis quelques semaines et mon attention a été attirée par l’un de tes brillants éditoriaux relatif au Congrès des FLAM. La critique que tu as portée contre ceux qui dénonçaient la présence de Jemil O/ Mansour à cette manifestation est d’une lucidité implacable. Heureusement, qu’il y a encore des mauritaniens qui ont la tête sur les épaules! Seulement, au détour d’une phrase, tu classes le MPR parmi les « partis sectaires ». Dans une autre livraison, tu avais également affirmé que le MPR était un parti nationaliste négro-africain. Naturellement, tout en te reconnaissant, ta liberté de jugement, je ne suis d’accord avec aucun de ces qualificatifs. Sauf, bien sûr, à me dire qu’en Mauritanie, un parti politique dirigé par un négro-africain est nécessairement nationaliste et/ou sectaire ? Et là, je dis tout de suite, attention de tomber dans les stigmates que toi-même tu dénonces ! Il me semble que la ligne d’un parti se définit avant tout par son programme et par les actes que ses dirigeants posent ; et au premier rang desquels, le Président du Parti lui-même. En ce qui concerne le programme du MPR, que j’ai moi-même largement inspiré, ses quatre piliers sont : une politique active d’intégration nationale ; l’enracinement de la démocratie ; le respect des droits de l’Homme ; et le développement économique et social dans l’équité. Vaste programme, me diras-tu ! Sur la question de l’intégration nationale et qui est notre crédo, instruits par l’expérience malheureuse vécue, par la communauté négro-africaine dans son rapport à l’Etat, mais qui a déteint sur ses rapports avec la communauté maure, nous prônons un Nouveau Pacte de Confiance, reposant sur un double contrat : entre l’Etat et les communautés d’une part ; entre l’Etat et les citoyens d’autre part. Je n’entrerai pas ici dans les détails, mais ce qu’il faut retenir : Sans renoncer à l’objectif fondamental de citoyenneté pleine et entière, il faut faire des concessions aux groupes primaires, au sens sociologique du terme, composantes nationales et sociales, y compris haratines, parce que la gestion délicate de ces questions a été menée par des politiques inappropriées, passe-moi l’expression «imbéciles» !
Evidemment, sauf à se réfugier dans la contemplation de l’observateur froid qui analyse les contradictions sociales, nous autres politiques, sommes condamnés à rechercher et à trouver des solutions. Or, je sais que depuis la Conférence de Bakou (1921) et peut être avant, les questions nationales ont toujours interpellé les révolutionnaires et démocrates. Ces questions sont à l’origine de l’éclatement de l’Union Soviétique, des problèmes dans les Balkans et plus près nous des conflits encore ouverts en Afrique. Malgré notre situation en Mauritanie, observant tous ces phénomènes de guerre sans merci entre frères de même race en Afrique, le cas du Sud Soudan est à cet égard caricatural, j’en arrive donc à relativiser nos problèmes faussement raciaux, faussement ethniques. Mais, j’ai appris à Sciences Pô qu’une question n’est jamais éternellement principale ou secondaire, elle l’est, lorsque les contradictions sociales en font une question principale. Ma conviction est que si les negro-africains de Mauritanie se dotait d’un Etat, peut-être plus qu’une autonomie telle que réclamée par les FLAM, ils allaient vite s’entre-déchirer entre Pulaar et Soninkés, entre Pulaar et Wolof, ou entre Pulaar eux-mêmes, parce qu’à la base le fait ethnique a été surdéterminant dans la création de cet ensemble autonome. Il en serait d’ailleurs de même si on avait créé un Etat ou un ensemble maure. Le fait tribal, voire régional eut été surdéterminant. Voilà pourquoi je suis un défenseur impénitent de l’intégration nationale. Sur ce point, tous les régimes passés n’ont, au mieux  qu’incarner ce problème de notre pays, sans jamais le résoudre ; les hommes ordinaires que nous sommes, devront bien tentés de le résoudre.  
Enfin, en ce qui concerne les dirigeants du MPR, et au premier rang desquels moi-même, j’ai bien la prétention d’être un patriote, mais pas un nationaliste ! En 1995, quand je suis rentré au pays à la suite d’une longue mission de consultation à la BAD (2 ans), j’ai trouvé à mon retour que l’écrasante majorité des négro-africains avait quitté l’UFD/EN, je ne les ai pas suivi, malgré l’insistance de certains cousins. Je leur avais dit textuellement ceci : « Moi, vous savez que je suis l’un des auteurs de la Déclaration de politique générale de l’UFD, je me suis absenté du pays pendant deux ans et à mon retour, j’ai trouvé qu’on n’a pas changé une virgule de cette Déclaration ». Bref, je ne situe pas mon engagement politique dans une dynamique communautaire, mais de principe.
J’aurai pu aussi te parler de l’action personnelle que j’ai menée pour dissuader en 91 certains jeunes cousins et neveux sortis du mouroir de Walata et qui n’avaient qu’une idée aller rejoindre la lutte armée des FLAM. Je ne l’avais fait pour le compte d’aucun régime et c’est peut-être bien la première fois que j’en parle ! Tout le monde connait les liens particuliers qui m’unissaient à Saidou KANE (Paix à son âme), au-delà de la parenté ; et je peux dire sans fausse modestie que j’ai le plus contribué à sa décision de faire abandonner aux FLAM la lutte armée, de démissionner des FLAM et finalement de rentrer au pays ! je ne l’avais fait pour le compte d’aucun régime. Seule ma conscience m’avait dicté.
Quant aux autres dirigeants du MPR, ils viennent d’horizons divers : de toutes les communautés avec des ex-UFP, ex Plej, ex Flam, ex-Prds, ex-Baasistes, et bien sûr ex-RFD. Mais, il y a surtout des mauritaniens lamda qui veulent faire la politique autrement et qui m’accordent leur confiance. Ils savent aussi, qu’ils soient Maures ou Négro-africains, que je n’ai pas de couleur et que j’ai déjà sanctionné au sein du Parti les dérives sectaires qui risquaient de le miner, quitte à me séparer de certains soutiens de la première heure. Tu peux le vérifier auprès de Sidi O/ Kleib.
Enfin, enfin, ce n’est pas à quelqu’un de Mederdra à qui je vais apprendre que j’ai la conscience historique d’être un multi culturaliste, appartenant à une longue lignée où le brassage des peuples a été rendu possible par des stratégies matrimoniales et une intégration qui a permis à la tribu des Oulad Deyman de devenir les collecteurs d’impôts pour le compte de Elimane Seydou Hountou Racine dans ce Grand Dimar, Saidou Kane dirait Damashg, qui envoyait aussi ses enfants auprès des lettrés Deyman pour leur inculquer le savoir coranique.
 Ce que nous ancêtres ont fait, avec les moyens qui étaient à leur portée, nous pouvons faire mieux !
Si j’ai tenu à faire cette mise au point, je ne m’adresse pas au journaliste, mais à l’intellectuel pour lequel j’éprouve un profond sentiment d’estime et de respect. Ceci n’est donc pas un droit de réponse.
Cordiales salutations»
Hamidou Baba KANE, en vacances au Maroc.  

mardi 16 septembre 2014

Ebola, l’autre guerre

C’est une véritable guerre qu’il faut mener contre le virus Ebola qui continue à faire des ravages en Afrique de l’Ouest (et pas seulement). La mobilisation internationale et locale (dans les pays africains) prend l’allure d’un film sur grand écran, avec notamment la décision du gouvernement du Sierra Leone de «confiner» la population chez elle pendant trois jours, mais aussi l’envoi dans ce pays de plus de trois mille soldats américains.
En 1995, le réalisateur Wolfgang Petersen sortait «Outbreak», un film traduit en Français sous «Alerte !» avec entre autres grandes figures du cinéma, l’acteur Dustin Hoffman. Le film raconte l’itinéraire d’un virus arrivé en Californie par un petit singe venu d’Afrique et introduit frauduleusement aux Etats Unis. Il se propage à une vitesse qui laisse présager la fin de l’Humanité. La trame tourne autour la volonté des «bruts» qui préconisent une opération militaire contre la petite ville où le virus semble avoir sévi, et le colonel Sam Daniels (Dustin Hoffman) qui croit à une solution «scientifique».
Au cours de l’histoire, on apprend qu’il s’agit d’un virus «cultivé» dans le cadre de la guerre bactériologique envisagé par les Américains contre le reste du monde. Le virus aurait été cultivé en Afrique. Une souche de ce virus a contaminé des animaux de la jungle et notamment des singes qui servent dans des trafics avec l’Europe et l’Amérique. A un moment du film, on voit comment l’administration américaine avait décidé de détruire les villages et camps militaires où la culture du virus s’effectuait, pour faire disparaitre toute trace du méfait.
Depuis que j’ai vu ce film, je m’attends à une hécatombe du genre. Nous l’avons depuis les pays de l’Afrique de l’Ouest. Il ne s’agit pas ici de suggérer une quelconque possibilité de manipulation à grande échelle, même si avec ces gens-là il ne faut rien exclure. La situation est grave et mérite qu’on se mobilise tous pour expliquer, sensibiliser en espérant faire peur pour éviter la propagation de la maladie qui a fait des milliers de victimes en quelques mois.
Le virus Ebola – et non «Epola» comme prononcent certains journalistes des télévisions et radios privées – doit son nom à une rivière de la République démocratique du Congo, ancien Zaïre. C’est aux abords du cours de cette rivière que le virus a fait sa première hécatombe en 1976 (280 morts sur 318 contaminés). Plus tard, on saura qu’il s’agit d’une maladie fulgurante mortelle à 90% et pour laquelle il n’existe aucun traitement.
On sait que le virus passe de l’animal à l’homme (de la chauve-souris au singe puis à l’homme). Il se transmet par contact direct avec des liquides organiques comme le sang, le sperme, les excrétions, la salive et tout ce qui peut provenir de la personne malade. C’est ce qui explique la montée de la contamination dans le personnel médical traitant.
Il y a deux semaines, un prédicateur mauritanien a été atteint d’un accès de forte de fièvre. Il a été immédiatement isolé à l’hôpital Zayed où il a été transféré. Malgré la présence presque permanente du personnel médical, le médecin traitant a été surpris de le voir entouré de sa famille : sa sœur qui lui tenait la tête, son frère qui lui massait les pieds, quelques disciples qui essayaient de s’asperger de sa salive qui dégoulinait. C’est dire combien il est difficile de faire respecter les règles de sécurité dans des sociétés comme la nôtre où les règles de la convivialité font fi de la prévention.
Les rituels funéraires ont été pour beaucoup dans la propagation du virus dans certains pays. La question aujourd’hui est de savoir si les exégètes de la religion peuvent émettre des avis dispensant les morts du virus d’être traités comme des morts normaux.
Une montée soudaine de fièvre accompagnée de céphalées avec des maux de gorge, des diarrhées et des vomissements ainsi que des éruptions cutanées qui apparaissent très vite. Très vite aussi on constate que les reins et le foie sont affectés pour donner les hémorragies internes et externes. Dans 50 à 90% des cas, le décès intervient alors. Entre le moment de la contamination par le virus et sa manifestation (période d’incubation) on peut compter de 4 à 9 jours, alors que le temps de la maladie dure entre 6 et 16 jours.
La menace est grave pour tout l’espace ouest-africain, donc pour nous. Il est donc urgent et nécessaire de faire attention. Faire attention à tous les malades de fièvre qui manifestent des symptômes assimilables à ceux d’une fièvre hémorragique, n’importe laquelle. Faire attention aux parents et amis qui reviennent de pays à risques. Etre plus exigent quant à l’hygiène notamment l’hygiène personne : se laver les mains chaque fois que cela est possible. S’abstenir de toucher les malades soupçonnés d’être atteints.
Les partis politiques, les syndicats, les médias, les mosquées, les chefs de village… tout le monde doit se mobiliser pour sensibiliser les populations. Nous n’avons pas le droit d’attendre sans rien faire, sans rien dire. Cela relève du volontarisme et de l'engament personnel.