Vendredi,
jour saint. Dowchliya, un village paisible de la région de Mederdra.
Géographiquement et historiquement, cet espace est celui de l’Iguidi, célèbre
dans l’espace Bidhâne pour sa culture originale faite de synthèses et de
convergences qui ont marqué la terre et ses habitants.
Ici,
la mesure, la pondération et l’abstraction relèvent de l’exercice humain au
quotidien. Ici, les «têtes bien pleines» sont souvent tout aussi «bien faites».
Ici, le Verbe et l’Idée ne font qu’un. Ici, les silences sont déjà une
expression complète et peuplent les non-dits pour mieux peser que les paroles…
C’est
le temps des retours au bercail : vaches et chèvres accourent pour
retrouver leurs petits ; ailleurs, ces moments de retrouvailles se font
dans une cohue indescriptible. A Dowchliya, tout se passe dans le calme. Ni beuglement,
ni bêlements, ni mouvements brusques… comme si les animaux avaient adopté le
trait de caractère fondamental des gens de cet espace : le calme.
A
l’entrée sud-ouest du village, la Miséricorde a enveloppé ce coin pour un
moment qui ne finit pas : «Lemrabott» Mahand Baba Wul Meyne sort de son
isolement, le temps de dispenser de précieux cours à une multitude de talibés
qui n’ont d’attention que pour lui.
La
langue, les sciences religieuses, la rhétorique et les arts, la philosophie, la
Logique et son histoire, les préceptes élémentaires tout comme les plus
complexes… tout y est.
Mais
cela n’empêche nullement le Marabout Mahand Baba de recevoir ses visiteurs
venus parfois de très loin pour l’écouter, le voir et le solliciter.
Je
faisais partie de ceux-là ce vendredi…
J’ai
toujours rêvé de rencontrer ce personnage hors norme. Mais j’ai toujours craint
de devoir répondre aux questions qu’il pose. Même si je me disais que le saint
homme ne pouvait mettre à mal ses visiteurs et qu’il s’agit probablement pour
lui de détendre l’atmosphère, de préparer l’interlocuteur à l’échange et de
donner une leçon de savoir-faire et de savoir-dire à l’impatient visiteur.
Pour
aller le voir je m’étais bien préparé. Tôt le matin, j’avais été à Melzem
Ezzriba où gît mon ancêtre Habiboullah Al Moukhar, plus connu sous le nom local
de «Haybellahi Ennal Mukhtaar». J’avais rempli une bouteille de sable qui
recouvrait la tombe en me promettant de le remettre au Marabout Mahand Baba si
l’occasion se présentait.
Quand
nous arrivons, mes compagnons et moi, à Dowchliya, le Marabout Mahand Baba est
déjà entouré.
D’abord
les talibés, hommes et femmes assis par terre, tous animés d’une ferveur toute
de douceur. Rien ici ne peut tendre vers l’extravagance, pas même le simple
enthousiasme.
Ensuite
les visiteurs. La discussion est déjà engagée entre le Marabout et l’un de ses
visiteurs venus de loin. Autour de l’Emirat du Trarza, des grands faits d’armes
de sa résistance, des cimetières où sont enterrés ses illustres personnages,
des valeurs qui ont fait sa grandeur… ce n’est pas à un dialogue de sourd que
nous assistons mine de rien. C’est à un échange entre de grands esprits. Le temps
pour moi de confirmer que le Grand Oral que fait passer le Marabout à ses
visiteurs, est un exercice d’expression d’un moine qui a fait de sa vie un don
à Dieu. S’appropriant à jamais la félicité éternelle.
Le
visage du Marabout est envoutant. Cet être qui parait frêle au premier regard,
habillé sobrement, assis à même le sable… cet être est d’une force
incommensurable. Il est en lui-même une sorte d’objection de conscience à
toutes les vanités humaines d’ici-bas. Sa voix vibre au rythme de son
environnement. Mais elle sonne comme un défi à la cacophonie et aux tumultes de
la Terre.
Le
Marabout refuse tous les présents …sauf celui que je lui rapporte…
Je
m’en vais avec un sentiment de bonheur immense. Le bonheur d’avoir volé un
moment d’éternité et un espace d’immensité…
Al
Hamdu liLlah.