Ahmed
Ould Khattri, ancien directeur de PROCAPEC, a été empêché de se présenter aux
élections législatives au niveau de R’Kiz, suite à une démarche initiée par le
Parquet général qui a écrit à la CENI pour signaler que l’intéressé ne pouvait
se présenter parce qu’il est sous le coup d’une «condamnation». Démarche
singulière et inappropriée.
Singulière
parce que le Parquet n’a aucun mandat pour interpeller la CENI. Rien dans la
loi électorale, ni dans la pratique n’ouvre la voie au Parquet pour une telle
interférence. A la limite, le Parquet ne sait même pas qui se présente et sous
quelles couleurs. Il doit être pris par le suivi des enquêtes sur les viols et
meurtres, par les affaires pendantes devant les juridictions, et non par l’épluchement
des listes candidates pour savoir qui peut et qui ne peut pas se présenter.
Inappropriée
parce que si le Parquet est très au fait de qui est qui parmi les candidats, il
aurait interdit la candidature à d’autres personnes, notamment à ce candidat qui
se présente en bonne place sur la liste UPR et dont la procédure judiciaire
vient de se terminer pour le faire bénéficier d’une «liberté provisoire» qui ne le soustrait pas normalement à la situation de "poursuivi".
Et si Ould Khattri avait été candidat UPR, aurait-il fait l’objet de la même
démarche ? si non, pourquoi ne pas entamer la démarche contre cet autre
candidat ?
Inappropriée
aussi parce que nous sommes en phase de crédibilisation d’élections qui font déjà
l’objet d’objections plus ou moins objectives avec notamment l’absence d’une
partie de l’opposition (boycott), les lenteurs de la CENI l’organe chargé d’organiser
ces élections, la culture du doute devenue un élément essentiel de la réalité
mauritanienne… Trop de choses peuvent être invoquées par ceux qui ne veulent
pas de ces élections – et ils sont nombreux parce qu’ils se trouvent aussi dans
la Majorité et chez les «participationnistes» -, trop pour prêter le
flanc ou pour créer de nouvelles sources de suspicions et de doutes.
C’était
à la CENI de voir par elle-même si Ahmed Ould Khattri a un dossier complet,
auquel cas l’accepter, sinon le rejeter. Pas besoin d’une interférence du
Parquet parce que les concurrents de Ould Khattri et du parti Tawaçoul sous les
couleurs duquel il voulait mener campagne, auraient pu émettre des réserves. A ce
moment-là, les services concernés – peut-être le Parquet – seront interpellés
pour rétablir le droit. C’est ce qui devait être…
L’interférence
du Parquet trouverait sa justification dans l’établissement d’un casier
judiciaire «vierge» à Ould Khattri. N’est-ce pas un cabinet d’un
tribunal, un service du secteur de la justice qui établit ce genre de document ?
A qui la faute si dans notre pays, on peut établir un document comme celui-là ?
A qui la faute si dans ce pays, des hommes, sous mandat, d’autres en liberté
conditionnelle ont été, par le passé, nommés ministres ? Cela fait partie
de la déliquescence du secteur de la Justice, déliquescence née de plusieurs
décennies d’inféodation, d’incohérences, d’impunité, de poursuites ciblées, de
décisions qui n’ont aucun rapport avec la Justice, d’arbitraires… (tout le
reste a été dit)… C’est cette situation qui devait être corrigée depuis août
2005. Mais la réforme a toujours été remise à plus tard à cause des «urgences
politiques» : le débat politique occultant toujours l’essentiel.
Qu’on
donne à Ould Khattri ou à quelqu’un d’autre un certificat attestant qu’il ne
souffre aucune poursuite judiciaire et qu’il n’a jamais été condamné, qu’il est
donc dans la situation normale d’un citoyen normal, cela relève d’un
dysfonctionnement de la Justice qui lui-même n’est que la partie visible d’un
iceberg de dysfonctionnements : tout ce qui fait qu’aujourd’hui aucune
action de la Justice ne peut être comprise ou justifiée aux yeux du citoyen
lambda. C’est cette situation qu’il faut corriger un jour ou l’autre. Si le
Parquet avait ordonné une enquête sur l’établissement de ces casiers
judiciaires et sur les autorités qui les établissent, cela aurait eu le
résultat escompté : les challengers de telle ou telle liste auraient
engagé une procédure de contestation et le dossier aurait fini devant le
Parquet pour conclure. Plus adroitement, en prêtant moins le flanc aux
critiques et en laissant peu de place aux interprétations fallacieuses ou non.
En
décidant de passer outre et d’en faire une affaire personnelle visant la seule
personne de Ould Khattri et en s’abstenant de poursuivre d’autres personnes
dans la même situation que lui, le Parquet a laissé la porte ouverte aux
interprétations les plus dangereuses. En s’abstenant de poursuivre les
autorités qui ont établi les casiers judiciaires, le Parquet évite de corriger
le plus évident et le plus dangereux des dysfonctionnements de la Justice.