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jeudi 25 août 2016

J'ai perdu un ami, J'ai perdu un frère

Quand je l'ai connu "physiquement" en 1992, Brahim Ould Boucheiba avait encore tout pour séduire: la prestance, la générosité, le calme et la sérénité qu'il diffusait dans son sillage… On ne pouvait pas être malheureux à côté de "BB" (je saurai plus tard que c'est comme ça que ses amis l'appelaient affectueusement). Donc j'étais fatalement attiré par le personnage, surtout que j'appartenais à une génération qui fut "noyée" dans les belles histoires de Brahim: ses amours impossibles, ses réussites improbables, ses amitiés innombrables, ses démêlés continus avec les pouvoirs militaires… Il faisait partie de ces super-héros qu'on affublait de tous les attributs et qui finissaient par nourrir un imaginaire digne des grandes sagas romanesques.
Il m'intrigua au tout début mais un connaisseur de chez moi me le résuma ainsi: "Dis-toi toujours que Brahim Ould Boucheiba est un homme de bien. Dans l'Absolu. Dis-toi qu'il ne mènera jamais une action en vue de faire mal à quelqu'un, qu'il ne sacrifiera jamais une amitié ou même une promesse de relation pour un intérêt matériel vulgaire, que quoi qu'il en soit il restera foncièrement un homme de bien… Le reste tu l'apprendras en le connaissant".
Ce résumé m'a effectivement permis de dépasser les premières appréhensions pour apprendre à connaitre l'homme dans toutes ses dimensions.
Son intelligence fulgurante du monde lui permettait de ne jamais se trouver dans l'impasse. Ce qui me faisait dire qu'il était auréolé d'une dimension qui relève de "l'administration de l'invisible", une baraka qui lui permettait de toujours s'en sortir.
Son ouverture d'esprit extraordinaire en faisait un homme de dialogue qui se retrouvait inévitablement au centre de toutes les démarches apaisantes, toujours engagé dans une entreprise de rapprochement. La Mauritanie des dernières décennies lui doit beaucoup dans l'assouplissement des rapports entre les acteurs politiques. Il est des situations où l'action de Brahim a été déterminante pour éviter LA confrontation entre des acteurs déchainés et qui n'avaient plus rien à perdre.
Son sens de la mesure diffusait une tranquillité qui dictait à son environnement de relativiser tout ce qui arrivait, de ne jamais prendre les "secousses" trop à coeur. Mais aussi de ne jamais se laisser gruger par les réussites faciles. Il faut assurer et s'assurer de la continuité dans ce qui est possible: le don de soi en vue de servir l'autre, en vue de propager la quiétude tout autour, en vue de participer à l'harmonie du monde et de refuser les fractures irréversibles… Une ligne de conduite qui a fait la vie de Brahim Ould Boucheiba et que nous devons lui reconnaitre aujourd'hui.
…Juillet 1999, je me sens obligé de faire le déplacement vers le Maroc pour assister aux adieux au Roi Hassan II, la place de l'homme dans mon coeur et l'importance historique du moment m'amènent à faire fi de mes moyens. Quand j'échoue, emporté par une foule immense, aux abords du lieu où reposent les derniers rois de la dynastie Alaouite, je ne sais quoi faire. Je me dirige alors vers l'Hôtel Safir, non loin de là, avec l'idée de pouvoir me reposer en attendant de trouver une solution. Je m'affale sur le premier siège et je me retrouve nez-à-nez avec Brahim Ould Boucheiba. Je comprendrai plus tard qu'il était, à ce moment-là, dans la même situation que moi. Mais ma présence lui donna une nouvelle énergie et nous passâmes le meilleur séjour qui soit. C'est d'ailleurs lui qui manoeuvrera pour que la présence de feu Moktar Ould Daddah soit l'évènement et non la participation (exceptionnelle) du Président Moawiya Ould Taya en froid à l'époque avec le Maroc. Résultat: à voir la presse de ces jours-là, la Mauritanie était représentée par son premier Président et non celui qui présidait à ses destinées à ce moment-là. Un coup de maître.
Mon ami Brahim tenait deux choses pour sacrées: Cheikh Yacoub Ould Cheikh Sidiya et Moktar Ould Daddah. Tous les autres relevaient du domaine de l'humaine condition.
Qu'il repose en paix au milieu de ceux qu'il a aimés et adulés, en ce lieu béni d'Al Ba'latiya. Que nous autres, trouvions réconfort dans l'évocation du souvenir de cet ami fidèle, de ce frère attentif, de ce père compréhensif… Mille et mille histoires pour dire cet homme immensément bon, pour dire son courage face à la maladie qu'il a affrontée comme il faisait avec les vissiscitudes (presque) ordinaires de la vie, pour dire toute cette force qu'il avait pour surmonter et vaincre les difficultés qui semblaient insurmontables…
Nous lui devons de le raconter à nos enfants parce qu'il restera une légende vivante.

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