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vendredi 14 février 2014

Quelle administration pour quel Etat ? (2)

J’ai choisi, pour des raisons évidentes, d’aller dans l’atelier qui devait traiter des rapports du citoyen avec l’administration. Un atelier dirigé par le Professeur Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Salah et animé par Dr Zekeria Ould Ahmed Salem et Al Khalil Ould Enahwi, tous deux éminents chercheurs. L’intérêt pour moi du thème de l’atelier a aussi joué.
Le président de l’atelier devait préciser que l’administration constitue le volet «opérationnel» de l’Etat. C’est à partir du contact régulier avec le citoyen que celui-ci élabore son jugement sur l’Etat en général. Un jugement qui dépend donc de la qualité du service rendu. Ce jugement est défini à partir de trois facteurs : la régularité du processus de décision (est-ce qu’il suit les règles préétablies et est-ce qu’il reconnait les droits des citoyens ?) ; la célérité dans le fonctionnement des services publics (est-ce que ce fonctionnement garantit la solidarité nationale et donc l’unité ? est-ce qu’il garantit la continuité du service public ? est-ce qu’il permet une répartition juste des ressources ?) ; et la possibilité de recours face aux décisions administratives (est-ce que le citoyen a la possibilité de recourir à un défenseur des droits par exemple ?). Après cette brève introduction, la parole fut donnée au premier conférencier, Dr Zekeria Ould Ahmed Salem qui présenta sous le thème : «Réforme de l’administration et rôle du citoyen : vers un nouveau contrat social ?»
L’approche choisie était dictée par le brillant cursus du conférencier, spécialiste dans la sociologie politique. Il s’agit d’abord d’étudier le fonctionnement des sociétés, dans le cas d’espèce, face à l’administration et à l’Appareil d’Etat en général.
Pour le conférencier, il ne faut plus limiter la réflexion sur les causes «techniques» des dysfonctionnements de l’Appareil, mais aller vers «les dimensions politiques et sociales» de ces causes «autrement plus décisives que les aspects institutionnels, techniques ou managériaux (gestion) d’un problème décidément complexe». L’un des grands défis que le pays doit relever est bien celui de redonner à la problématique de la faillite de l’Etat toutes ses dimensions et non pas son seul facteur technique. Comme ce fut le cas de toutes les tentatives passées.
En allant de l’ajustement structurel à la gouvernance par le développement institutionnel, on se rend compte qu’on n’a fait que reporter les réformes demandées à plus tard. En arguant chaque fois corriger les choix antérieurs.
L’analyse du processus historique montre que l’administration coloniale n’a pas pris et que «dans un contexte postcolonial où la société, longtemps majoritairement nomade, n’est pas «capturée», la bureaucratie d’Etat est demeurée embryonnaire jusque et y compris au milieu des années soixante-dix». Mais à partir des années 80, l’Appareil va connaître «une crise de croissance aigue où pèsent lourdement les transformations de l’Etat et de ses rapports avec la société sur fonds de mutations sociales et politiques : scolarisation massive, urbanisation accélérée, aide de l’Etat aux populations («politique distributive»), diversification de l’économie, instabilité politique, insertion nationale dans les circuits économiques internationaux…»
Si bien que quand interviennent les institutions financières et qu’elles commencent à dicter les politiques à suivre au milieu des années 80, l’urgence était d’«ajuster l’économie par l’administration». A ce stade, «l’une des premières tâches des programmes d’ajustement structurel des économies des pays pauvres, a été de faire une analyse documentée et chiffrée des travers des fonctionnaires et de l’inflation de leurs effectifs, des problèmes institutionnels de l’administration, de ses blocages et de son inadaptation à une économie moderne». Diagnostic : la faible capacité institutionnelle, le manque de transparence et la centralisation sont à l’origine des insuffisances. Solutions préconisées : dégraissage de la fonction publique, réduction des charges de l’Etat, blocage des recrutements, désengagement de l’Etat qui se traduit par un démantèlement de la puissance publique.
«On a commencé ainsi par dénoncer, parfois à juste titre, l’incompétence des fonctionnaires, la lenteur des procédures et leur manque de transparence, la faiblesse technique des agents publics, les excès de la personnalisation des charges publiques, le cloisonnement administratif, l’opacité et l’inégal accès aux services de l’Etat». Comme pour renforcer cette désétatisation de l’administration, on a poussé vers la création de «projets», «cellules», «unités de projets» et autres «organismes ad hoc» qui prenaient une certaine autonomie par rapport aux administrations de tutelle. «Tout cela est allé dans le sens d’une suspension de l’appareil administratif de l’Etat ou à sa mise sous tutelle dans le cadre de la mise en place d’une véritable administration parallèle».
C’est ainsi qu’«un coordinateur d’un petit projet (avec statut de chef de service) devient vite le personnage central d’un département ministériel au détriment de la hiérarchie». Il est même un personnage central dans le processus de décision au niveau du gouvernement qui est ainsi «acheté» (le terme n’est pas du conférencier) par celui qui devait le servir. Du coup, «les élites politiques vont vite jouer le jeu et tenter de tirer partie de la nouvelle donne, faute de marge de manœuvre ou de volonté de la réfuter».
Une décennie d’errements, puis arrive «le temps de la Gouvernance» qui consacre le «retour de l’Etat» comme «facteur d’informalisation de l’administration». Il signe le constat d’échec avec «une réhabilitation toute théorique des fonctions de régulation de l’administration». Etait-ce «trop tard» ?
Dr Ould Ahmed Salem explique : «A force d’être instrumentalisés par les acteurs, les programmes de réforme économique et administrative n’ont plus vraiment pour objectif de réformer l’administration ou de la rendre performante. Ils sont avant tout devenus des ressources et, en tant que tels, des enjeux de pouvoirs». Pour lui, le processus a permis de «renforcer les pouvoirs d’une classe de technocrates qui maitrisent le processus et peuvent le juguler, le falsifier ou le neutraliser». D’autant plus que «les autorités en place peuvent aussi avoir un intérêt politique à l’anarchie de l’administration».
C’est partant d’un constat d’échec (énième du genre) que l’on passe à une nouvelle phase de réformes qui tire sa légitimité de la lutte contre la corruption. Un artifice de plus qui reconnait quand même l’état des lieux. En effet le document de la Stratégie de la lutte contre la corruption explique : «Malgré le processus de démocratisation de la vie politique, la mise en œuvre de programmes d’appui à la bonne gouvernance et d’institutions de régulation et de contrôle, le rôle croissant de la société civile et l’adhésion du pays à plusieurs conventions internationales, la corruption reste très présente en Mauritanie, comme le montrent des études récentes. Plusieurs facteurs ont facilité un tel processus, dont la dégradation de la déontologie professionnelle, l’absence de sanctions et de contrôles efficaces, les dysfonctionnements du système judiciaire, la faiblesse des rémunérations dans le secteur public et l’inapplication des lois. En raison de son caractère insidieux, la corruption prospère à l’ombre des dysfonctionnements de l’Etat».
Le problème n’est finalement pas technique, il est surtout d’ordre politique et social. D’où la nécessité, aux yeux du conférencier d’élaborer un nouveau Contrat social, de réhabiliter le service public et d’établir de nouveaux rapports entre ce service et les citoyens.
«Les échecs des réformes de l’administration ont affecté des notions naissantes et fragiles mais proprement politiques comme celles de bien public, d'intérêt général, de force publique, d’égalité d’accès et de citoyenneté qui auraient dû être développés dans le cadre d’un débat politique et d’un contrat social formel». Sans un travail de fond menant à une rupture radicale avec l’ordre ante, on ne peut espérer une réforme réelle de l’Appareil d’Etat.
Cette réforme doit d’abord viser à «placer dans l’ordre de l’indiscuté la nécessité de formuler un projet d’Etat impartial doté d’une administration neutre et transparente assignée à exécuter des tâches pour le bien commun et doté pour ce faire des moyens et des garanties nécessaires». Mais il faut pour cela se pencher sur la vraie problématique de l’établissement d’un Etat de droit dans nos contrées : «Comment dès lors demander à une administration, même postcoloniale, de traiter les citoyens de façon égale quand un pays marqué de façon indélébile par l’inégalité sociale, la hiérarchie et la subordination d’une partie de la population à une autre selon la richesse, l’origine généalogique, le sexe, mais surtout selon l’ethnie, la position dans la hiérarchie interne de la tribu, la région ou la proximité avec les détenteurs de l’autorité au niveau local ou central ?»
Le jour où «l’égalité sera un principe politique sacré» («l’égalité n’est pas un référentiel courant dans le langage politique mauritanien»), où la demande sociale de service public efficient sera entendue et prise en charge par les élites dirigeantes, ce jour-là on pourra espérer l’avènement d’un nouvel ordre sur la base d’un Contrat social progressiste voire révolutionnaire. En attendant, on constate que «dans les mouvements sociaux observés récemment dans le pays, les demandes sont concrètes, ponctuelles, sectorielles».
Mais «cela suppose que la nature même des rapports politiques entre gouvernants et gouvernés soient repensés de fonds en comble, que la pression soit si forte que l’unique solution pour dépasser la crise des services publics et de l’administration voire de l’Etat soit dans l’acceptation de nouvelles règles du jeu où le caractère dominant soit la transparence, l’équité et l’efficacité des services publics». Trois gages exigibles du service public : «la continuité, la gratuité et l’égalité d’accès». Car, «la citoyenneté se construit sur la croyance en la possibilité, voire en l’inéluctabilité, d’être égaux devant la loi ou dans les droits et les devoirs. Or, dans une société où cette valeur n’est guère partagée, il faut qu’un processus se déclenche pour y aboutir».

Conclusion : «le véritable problème qu’il convient de résoudre dans la réforme de l’administration n’est pas technique, il est de nature politique et concerne principalement la volonté de la communauté nationale, chacun en ce qui le concerne, d’évoluer vers la constitution d’une communauté politique basée sur un contrat social destiné à assurer les conditions de mise en place d’un Etat de droit».

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