«Le temps des printemps arabes», c’était le thème de la conférence introduite par le Professeur Bertrand Badie, éminent politologue français et grand connaisseur des évolutions du Monde Arabe.
Il a d’abord défini les soulèvements de Tunisie et d’Egypte comme des événements «exceptionnels», évoquant la complexité de trouver la formule exacte pour les qualifier : révolution arabe, mouvements sociaux, pour opter pour «le temps des printemps arabes». Il a ensuite démontré qu’il s’agit d’un mouvement de rupture d’avec le système classique. Dont la première manifestation est l’absence d’unité de temps, d’unité de lieu et d’unité d’action. Une trilogie qui a fait le classicisme.
Il a développé son argumentaire suivant trois axes :
- Le temps social qui a été très fort et très dynamique. C’est lui qui a fait la révolution. Mais va-t-il s’articuler avec le temps politique ? C’est toute la question qui déterminera le devenir proche de ces révolutions. C’est une révolution qui s’est faite sans avant-garde, sans programme et sans doctrine. Première révolution post-léniniste, elle est une revanche des sociétés sur les systèmes politiques. Une sorte d’autonomisation de la société par rapport au joug du politique institutionnelle. Elle est pour cela sans précédent dans l’Histoire du Monde. Au moment où l’on croyait que l’ère des révolutions était terminée, voilà que les sociétés décrètent le passage en force en rompant avec la logique des Etats. Ce qui a été nouveau c’est la recréation et la redynamisation du lien social détruit par les autocraties.
- Le temps politique devrait nécessairement arriver par la prise en charge des ruptures sociales. «Si le temps social ne débouche pas sur le temps politique, ce sera un gâchis». Le printemps arabe pourrait alors être «juste un mai 68 arabe». L’expérience de la Révolution française nous enseigne qu’il faut assurer le transfert du temps social vers le temps politique. Nous aurons alors besoin d’une pensée politique comme celle des Lumières qui a servi en 1789 (en fixant les objectifs politiques) et des élites fournies par les associations et le foisonnement social de l’heure. Le danger pour nos révolutions actuelles, c’est bien la tendance de vouloir produire une pensée politique qui cherche à «se réfugier dans les utopies régressives» comme la culture d’un passé=âge d’or. L’élection risque aussi de servir à reproduire le passé.
- Le temps international nous amène à nous poser la question suivante : l’interférence du système international est-elle facteur de facilitation pour permettre l’articulation des temps social et politique, ou sera-t-elle simplement une manière pour ce système dominant de s’approprier le mouvement ? Trois phases dans les attitudes à relever dans le comportement du système international. Cela commence par la recherche de l’endiguement, comme au bon vieux de la politique du containment. La logique développée ici est que le mouvement pourrait déstabiliser la marche du Monde. Puis la politique dite de l’accompagnement qui a été portée par le discours du président Obama au Caire. Mais elle pose la question de savoir si une diplomatie de l’accompagnement est possible ? Enfin arrive la diplomatie de la substitution qu’on vit actuellement en Libye. Le système international – autant dire la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, pour le cas de la Libye – se substitue aux acteurs politiques arabes pour réguler et accélérer le devenir. Une révolution qui conduit à un tel processus devient une guerre. «La guerre est l’antisocial par excellence, la révolution est la quintessence du temps social», conclura Bertrand Badie.