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samedi 1 août 2015

A la jeune Iman

En d’autres temps et en d’autres lieux – les temps se confondent avec les lieux sous nos latitudes – j’aurai pensé à vous faire des remontrances pour avoir célébré publiquement votre oncle Oumar Ould Beibacar. J’aurai été vieux jeu et profondément injuste envers vous. Parce que je comprends ce désarroi qui vous amène à défier les règles d’une pudeur sociale qui nous impose de ne pas nous mettre en valeur par nous-mêmes. Notre société, par son refus de reconnaitre les mérites des uns, nous pousse à dire nous-mêmes ce que les autres auraient dû dire de nous et des nôtres. Votre libre-expression est d’abord un cri de détresse, une sorte d’objection de conscience à vos ainés qui n’ont pas apprécié la valeur du colonel Oumar Ould Beibacar…
C’est par vous que j’apprends la retraite – du reste méritée – de cet officier qui doit effectivement inspirer la fierté non seulement de sa famille restreinte, ni de sa tribu, ni seulement de sa communauté, mais de toute la Mauritanie et de tous les Mauritaniens. Ne serait-ce que pour son comportement exemplaire de courage et d’humanité quand, jeune officier, il a imposé aux autorités qui l’avaient nommé de sauver ceux qui survivaient au bagne de Walata… c’est toute une histoire qui mérite d’être longuement évoquée… mais revenons à Oumar…
C’est seulement à Aïoun, au Hodh, que je découvre cet officier de la Garde nationale que j’aurai pu connaitre bien avant mais que je n’avais jamais rencontré (je ne sais pas par quel miracle malheureux). Je l’ai approché, puis mieux connu à la fin des années 90, toujours dans cette belle ville d’Aïoun, centre de convergence respirant bonté et pureté. Trois choses à dire pour avoir une idée de Oumar… une idée… seulement une idée.
D’abord Oumar l’Homme. Pour reprendre les termes d’un philosophe français, Oumar allie «la force d’exister» et «l’art de produire la douceur». Franc-parler abrupt, spontanéité généreuse, disponibilité permanente, jovialité contagieuse, sens de l’honneur aigu, rigueur douce… tout ce qui fait laghdhaf dans notre culture, un concept qui englobe les facultés à être ce qu’on doit sans pomper l’air aux autres, sans les écraser de sa présence et de son égo, en plus de quelques dimensions de baraka : celui qu’on qualifie ainsi doit irradier le bonheur de vivre tout autour de lui. Sa compagnie est donc recherchée parce qu’elle procure d’immenses instants de plénitude.
 Ensuite Oumar le Juste. Le 29 août 1987, le jeune lieutenant Oumar Ould Beibacar débarque à Néma comme nouveau commandant du Groupement de la Garde. L’intérimaire lui rendit compte de «la perte de l’un des prisonniers de Walata». Soupçonnant les mauvaises conditions, il décide immédiatement de se rendre sur les lieux. Il doit faire vite avant l’arrivée du nouveau gouverneur de région récemment nommé. Le même jour, il entre dans le bagne et voit l’ampleur du désastre : les prisonniers sont mourants à cause de la famine et des maladies. L’un d’eux, le poète Ten Youssouf Guèye se bat courageusement contre une maladie qui le rongeait inexorablement et qui devait l’emporter quelques jours après.
Le lieutenant prend les mesures nécessaires pour changer les conditions effroyables des prisonniers et alerte immédiatement les autorités. Il arrive à faire parvenir un chiffré par l’intermédiaire du gouverneur adjoint, un ressortissant de la Vallée qui a beaucoup hésité de peur d’être accusé d’accointance avec les prisonniers. Les autorités supérieures réagissent promptement sans pouvoir éviter le pire : la mort d’une partie des prisonniers et la détérioration de l’état des survivants. De mauvais officiers, de mauvais administrateurs sont passés par là. Oumar a sauvé ceux qui pouvaient l’être. Non sans conséquences pour lui et sa carrière. Le sens de la justice, du droit, de l’équité, de l’humanisme l’a emporté chez l’homme.
Enfin Oumar le militant. Une cause qu’il défend encore : la mémoire de nos fils tombés sur le champ d’honneur, en défendant le pays durant la guerre du Sahara. Il a interpellé tous les anciens chefs d’Etat Major dont certains furent aussi des chefs d’Etat pour savoir combien de morts mauritanien durant la guerre du Sahara (1975-1978). En vain. La dernière fois qu’il m’en a parlé il estimait que les morts de l’Armée se situaient entre 2500 et 3000, ceux de la Gendarmerie entre 250 et 300 et ceux de la Garde nationale entre 150 et 200. Il a récemment cherché à les faire reconnaitre en temps que Martyrs du pays, il a suggéré que l’Office des anciens combattants dont les membres actuels vivent un tranquille crépuscule, que cet Office revienne aux survivants de la première guerre menée au nom de la Mauritanie et pour la défense de son intégrité (la deuxième guerre est celle qui a été menée contre les groupes terroristes)… Mais qui prête attention aujourd’hui aux morts, aux blessés, aux survivants de la guerre du Sahara ?
Je peux partager ici des moments intenses de débats passionnés pendant lesquels, l’officier commandant le Groupement nomade fustigeait publiquement les pratiques du puissant PRDS (parti républicain démocratique et social) au pouvoir de 1991 à 2005. Où il défendait avec passion les causes justes, la veuve et l’orphelin… aux temps où cela coûtait d’adopter de justes positions…
Encore du courage. Encore le sens de l’équité. Encore le franc-parler. Encore la dignité… Encore Oumar Ould Beibacar. 

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