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samedi 13 décembre 2014

Le 12/12, trente ans déjà

Mercredi 12 décembre 1984, les Mauritaniens apprennent dans la mi-journée que le pouvoir a changé. Une explosion de joie générale. C’est que le pays vivait les affres de sa première véritable dictature. Des milliers de Mauritaniens sont soit en prison soit en fuite.
Devant les manifestants venus acclamer les tombeurs du colonel Mohamed Khouna Ould Haidalla, c’est Moawiya Ould Taya qui prend la parole pour les remercier en …Français. Important à savoir parce que la suite va donner un homme sommairement nationaliste arabe. Le choix du chef de la nouvelle junte, celle qui prétend faire de «la rectification», a été choisi, comme ses prédécesseurs, pour ses faiblesses supposées. Comme les autres, il finira par croquer ses compagnons et par prendre le pouvoir à lui seul.
Pendant 21 ans, le style et la méthodologie de Ould Taya vont profondément marquer le pays. 21 ans d’un régime désormais différemment apprécié, après avoir été unanimement condamné. Ce qui a d’ailleurs expliqué et justifié, très largement, le coup d’Etat d’août 2005 et l’absence de toute réaction des soutiens et des dignitaires du régime de l’époque.
Aujourd’hui, des appels sont lancés pour célébrer l’homme, son exercice et son époque. Parfois timidement, de plus en plus ouvertement. L’homme a lui-même écrit un livre sur le «printemps arabe» après des années de silence, une tentative de se remettre en scelle à un moment où l’on présageait ici une contamination imminente. Le calcul a raté et l’ancien chef d’Etat a voulu faire croire que le livre en question était une «fabrication» et non un authentique produit de son intelligence…
C’est bien parce que son régime n’a pas fait l’objet d’un procès public, ses successeurs préférant «’ava Allhu ‘an maa salaf» (Dieu pardonne le passé), que les hommes de ce régime peuvent aujourd’hui occuper les devants, que ses nostalgiques tentent de le réhabiliter…
Mais il faut continuer à célébrer l’homme et son régime à travers la commémoration du 12 décembre 1984, date de sa prise du pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat intervenu alors que le Chef de l’Etat de l’époque, le colonel Mohamed Khouna Ould Haidalla dont il était le principal suppôt, participait, sous l’insistance de la France, au sommet de la francophonie à Bujumbura.
On ne peut – et on ne doit - passer sous silence cette date pour ce qu’elle symbolise désormais : le pouvoir de Ould Taya.
Le «12/12» sera une négation de ce qui a précédé, sans pour autant occasionner l’éclosion d’un «esprit» propre. Ni esprit, ni air, ni idéologie dominante. Ould Taya a préféré gouverner selon les besoins du moment, s’alliant avec tel groupuscule contre tel autre, avec telle force contre telle autre. Tous les mouvements politiques ont été à un moment ou un autre persécutés et leurs leaders emprisonnés, torturés, parfois exilés. On passait allègrement du statut de dignitaire du régime à celui de prisonnier persécuté.
En 21 ans d’exercice, la Mauritanie aura eu droit un ante-Atatürk qui n’a pas eu les moyens de ses ambitions souvent mal exprimées et toujours mal mises en œuvre. Cela a donné ce qu’on pouvait en espérer : un modernisme débridé, une révolution sociale avortée, un libéralisme corrompu par les jeux d’écriture, un nationalisme qui s’apparentait au chauvinisme, un traditionalisme qui fut une négation de l’authenticité, une ouverture qui avait fini par être une autre manière de se replier sur soi, de s’enfermer dans ses limites les plus exigües et de refuser les mutations les plus nécessaires.
Sape des fondements de l’Etat, corruption des rapports à la politique, inversement de l’échelle des valeurs sociales, exacerbation des différences et leur instrumentalisation, culture des fractures ethniques, régionales et tribales, pillage systématique des ressources, isolement diplomatique et géographique du pays… C’est cette Mauritanie émiettée et perdue pour elle-même que le système Ould Taya a laissée derrière lui le 3 août 2005.

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