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dimanche 10 juillet 2011

Le dialogue des cultures vu par Edgar Morin

Quel mal à vous faire lire ce texte d'un philosophe qui n'est plus à présenter?

«J'étais récemment invité à m'exprimer, dans le cadre d'un colloque euro-méditerranéen, à propos du dialogue des cultures. Or, les cultures, aussi ouvertes soient-elles, ne peuvent pas dialoguer. Leurs représentants officiels seulement le peuvent de manière conformiste et donc limitée.
Le dialogue est l'affaire d'individus : souvent des métis culturels ou génétiques, ou alors des personnes désireuses d'échapper au caractère monolithique de leur propre culture - tel l'un de mes amis, un Japonais, qui, étouffant dans sa culture d'origine à l'époque du Japon impérialiste et militarisé, s'est adonné dès son plus jeune âge à la littérature française. Un vrai dialogue, que ce soit des cultures ou des religions, exigent certain nombre de conditions.
D'abord, la reconnaissance de l'égalité : l'égalité en droits et en dignité de la personne avec laquelle on dialogue, l'égalité aussi entre les cultures. Chaque culture possède ses savoirs, ses arts, ses arts de vivre, ses sagesses, ses superstitions et ses illusions. Nous, Européens occidentaux, sommes dans l'erreur quand nous croyons être les détenteurs et les propriétaires de la rationalité, de la connaissance et des vraies vertus. Notre culture a certes développé des vertus, principalement les idées de démocratie, de droits de l'homme et de droits la femme. Mais elle a aussi ses illusions et ses mythes, telle cette croyance dans le fait que notre raison est capable de tout comprendre, alors qu'il y a bien des domaines quelle ne peut pas appréhender. Dépourvus de sagesse, nous ne sommes pas supérieurs aux autres.
Il y a aussi les pseudos dialogues fondés sur l'idée du développement, ce trompe-l'esprit qui aboutit à une classification entre développés et sous-développés, selon le seul critère technique et économique. Le sous-développement est une notion abjecte par le mépris quelle comporte. J'en suis venu à penser que l'idée de se débarrasser du développement est essentielle !
Une fois que le dialogue est entamé, encore faut-il passer au stade de la compréhension. La compréhension des différents aspects et de la complexité de l'autre culture, plutôt que sa réduction à un seul trait, souvent négatif ou ridiculement pittoresque. C'est l'exigence d'une pensée complexe, assortie d'un minimum de curiosité et d'empathie, qui permet de comprendre les structures mentales de l'autre.
Le dialogue est, par ailleurs, la recherche du méta point de vue qui permet d'intégrer le point de vue de l'autre, sans pour autant se départir de son propre point de vue. À ce niveau, il existe dans la culture européenne une vertu minoritaire : la rationalité critique, autrement dit la capacité de procéder à la critique de notre propre conception du monde. C'est Montaigne qui constate : « On appelle barbares les gens des autres civilisations » ; Montesquieu qui imagine les carnets de voyage d'un Persan en France ; les anthropologues qui s'inscrivent dans la lignée de Claude Lévi-Strauss.
Enfin, le dialogue implique la compréhension du lien inséparable qui existe entre l'unité et la diversité : l'unité qu'il y a dans la diversité, la diversité qu'il y a dans l'unité. Sur le plan planétaire, la reconnaissance de cette complexité nous aiderait à nous sentir tous membres de la même terre patrie, êtres humains dans leur plénitude, tout en étant extrêmement divers dans nos caractères individuels comme dans nos caractères culturels.
Telles sont les conditions du vrai dialogue, de la vraie compréhension. Des conditions difficiles certes, mais qu'il faudrait peut-être favoriser. D'où ma proposition à l'Unesco : créer, dans les diverses universités de la planète, des chaires de la compréhension humaine et culturelle, qui formeraient des hommes et des femmes de dialogue.»
Article paru dans Le Monde des Religions n° 9, Janvier-Février 2005, page bloc-notes 82

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