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dimanche 10 juin 2018

SAWAB-IRA : Un mariage de saison


Rien absolument ne pouvait prévoir cette alliance entre le mouvement de résurgence abolitionniste Mauritanie dirigé par Biram Ould Dah Ould Abeid et Sawab que dirige Abdessalam Ould Horma. Même s’il existe des antécédents entre les deux idéologies qui nourrissent les deux formations. Même si chacune des organisations y trouve son compte.

C’est en grande pompe, que Sawab et IRA-Mauritanie ont annoncé jeudi dernier leur alliance politique. Officiellement, il s’agit d’un «partenariat» qui permet aux deux formations d’aborder les élections à venir : les Législatives, municipales et régionales de 2018, puis la présidentielle de 2019. C’est le seul acte politique «tactique» visible sur la scène actuelle. Les autres acteurs semblent s’accrocher aux vieux schémas, comptant plus sur la persistance du clivage Pouvoir-Opposition traditionnel qui a jusqu’ici animé cette scène et qui n’aura plus sa signification dans quelques semaines voire quelques jours.

Bienvenue au Sawab

«Au nom du parti Sawab, nous souhaitons la bienvenue parmi nous à ce grand leader Biram Ould Dah Ould Abeid. Avec lui, poursuit Ould Horma, nous nous engageons dans une bataille commune contre l’injustice et l’exclusion et pour une Mauritanie plus démocratique et plus solidaire. Avec Biram, nous œuvrerons à la consolidation de l’unité nationale». 
De son côté, Biram Ould Dah Ould Abeid a promis, dans son mot d’introduction, de «nouer d’autres convergences avec d’autres formations politiques, à chaque fois qu’il deviendrait possible de consolider la dynamique de progrès pour la Mauritanie émancipée du populisme, du racisme, du fanatisme religieux». Appelant les militants présents «contre la coalition de la régression et du déni, avançons en rangs serrés».
C’est donc Sawab qui reçoit. Le parti légalement constitué ouvre les bras à l’organisation «non reconnue» et jusque-là combattue par les autorités. D’aucuns ont oublié que les Baath ont été les premiers parmi les courants nationalistes à tenter de prendre en charge le mouvement d’émancipation haratine. Quand, à la fin des années 70 et au début des années 80, ils réussissent à copter une partie de la direction historique du mouvement El Horr. A l’époque, toute une aile avait basculé dans le rang du parti Baath (Sghaïr Ould Mbarek, feu Mohamed Ould Haïmer…).
Sawab est un parti qui a la particularité d’être plutôt populaire dans la communauté arabe de Mauritanie sans jamais traduire cela sur le terrain. Sawab n’a jamais eu un député, un sénateur ou un maire. Le nom du parti annonce plutôt la pondération et la mesure dans le discours et les méthodes. En fait, ce parti est venu pour faire oublier les déboires de l’Avant-garde, son ancêtre, plutôt sulfureuse.
Il a appartenu à la partie de l’opposition qui a choisi de continuer le dialogue avec le pouvoir en 2011 et de refuser l’option du dégagisme. A ce titre, il a cofondé la Coalition pour une Alternance Pacifique (CAP) avec l’APP et Al Wiam. Qu’il a quittée sans préalables mais sans pour autant rejoindre le Forum national pour la démocratie et l’unité. Les deux dernières années, Sawab a fait cavalier seul, organisant des meetings plus incisifs, plus critiques que dans le passé.
Parce que, comme tout parti mauritanien issu d’un groupuscule politique déterminé, il a dû manœuvrer pour ne pas entrer en conflit ouvert avec la direction historique et les dignitaires emblématiques du mouvement dont il se revendique.

Unis pour le meilleur

De son côté, IRA-Mauritanie est une organisation née du parcours d’un homme, Biram Ould Dah Ould Abeid qui l’a lancée il y a de cela dix ans. Virulence, détermination, engagement physique, extravagance de la démarche, excès de langage… ont caractérisé la méthode Biram jusqu’à présent.
De militant anti-esclavagiste, Biram Ould Dah Ould Abeid est vite passé à leader politique. Il atteint le summum quand il se présente à la présidentielle de 2014. Il arrive deuxième avec plus de 8% des voix exprimées et devient un homme politique par excellence.
Les emprisonnements et la virulence du discours lui valent un fort soutien dans les milieux «exclus du système», particulièrement chez les activistes de la communauté noire qui voient en l’homme et en son organisation un cheval de bataille contre la communauté arabe.
Le plus grand soutien de Ould Abeid lui vient de l’extérieur. Plusieurs prix consacrent une reconnaissance internationale sans précédent. Si bien qu’il est aujourd’hui l’incontestable symbole de la lutte anti-esclavagiste et pour les droits en général en Mauritanie. 
Il y a quelques années, il a essayé de lancer un parti politique mais les autorités ont refusé de le reconnaitre. C’est justement cette hostilité de l’Appareil qui le sert le mieux, le présentant comme une véritable victime d’un système que lui qualifie de «raciste et d’esclavagiste».
Quand il revient d’un long périple en Europe et en Amérique, il annonce dès 2017 sa volonté de briguer la Magistrature suprême à l’occasion de la présidentielle de 2019. Il entend ainsi prendre les devants face à une opposition qui a perdu le fil de son combat et qui refuse de penser à cet avenir pourtant proche.
Le calcul est simple : devant l’absence des figures emblématiques désormais écartées pour raison de limite d’âge, l’opposition actuelle est condamnée à fédérer autour d’un candidat unique. Qui, mieux que Biram Ould Dah Ould Abeid, peut prétendre à la légitimité d’être ce candidat ?
C’est ainsi qu’il se lance dans une série de rencontres pour ratisser large et surtout pour normaliser ses relations avec tous les acteurs. Lui qui n’a pas manqué de s’attaquer à tous, souvent sans hésiter à piocher dans le vocabulaire le plus grossier. Il réussit à impulser le regroupement du G8 qui a été pensé pour faire converger toutes les forces opposantes.
Il a été question une première fois d’accord avec l’UFP, puis d’autres formations, avant que l’information ne tombe. D’abord sous la forme d’une adresse faite par Biram Ould Abeid à travers les réseaux sociaux et essentiellement adressée à la diaspora des militants. Ensuite avec cette annonce solennelle faite devant quelques dizaines de militants rassemblés dans la maison des jeunes.

Le pire à venir ?

Le premier objectif de Ould Abeid est bien sûr de trouver un cadre légal qui peut lui servir pour aller à la conquête des sièges au cours des élections futures. Le mélange ainsi réalisé aura certainement sa part.
Il faut rappeler ici que sur les 155 députés de la future Assemblée, 88 seront élus à la proportionnelle, ce qui ouvre de grandes chances aux partis d’opposition.
Mais les risques pour IRA et pour Biram Ould Abeid sont grands. D’abord celui d’abandonner la virulence qui a été son point fort. Quand il dénonce le populisme, c’est effectivement l’annonce d’un revirement dans le discours. Il est difficile pour ses soutiens actuels de s’accommoder de cette nouvelle alliance.
Une lecture – fallacieuse il est vrai – des événements de 1989 a toujours fait porter au parti Baath de Mauritanie la responsabilité des malheurs qui s’en est suivi. Les militants nationalistes noirs, même les plus pondérés parmi eux, ont toujours développé un discours anti-baath. Il sera difficile pour eux de faire comme si rien ne s’était passé.
D’autant plus que l’expérience de Messaoud Ould Boulkheir et de Action pour le Changement est toujours présente dans les esprits.
Quand, au milieu des années 2000, les nationalistes arabes – cette fois-ci les Nassériens – ont réussi leur OPA sur le puissant leader haratine de l’époque, Messaoud Ould Boulkheir. L’arrachant aux activistes noirs qui l’encadraient et l’intégrant dans un parti nationaliste, Alliance populaire progressiste (APP).
La seconde alliance qui risque de sauter à l’occasion de ce partenariat, est celle des courants dits «droits-de-l’hommistes» occidentaux, souvent sous influences diverses et dont l’objectif est d’abord de déstabiliser les sociétés arabes en cassant des pays où la diversité peut être source de divisions.
Pourtant IRA-Mauritanie se justifie : «Dispersés et parfois inaudibles, nous gagnions certes la bataille de la persuasion parmi les nôtres et auprès des nations libres mais demeurions bâillonnés, chez nous, au seuil des collectivités locales et du Parlement. Aujourd’hui, la leçon enfin apprise, il nous appartient de la traduire, en conquête de sièges, sur le terrain de la compétition dans les urnes.»
Est-ce suffisant pour faire adhérer la multitude de soutiens à ce qui n’est déjà pas un mariage de raison ?

MFO

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