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jeudi 8 février 2018

Gouvernement : Parcours calamiteux, fin annoncée

Jamais gouvernement n’a été aussi décrié que celui qui est actuellement aux affaires. Jamais Premier ministre n’a fait l’objet d’un désaveu aussi consensuel que celui-là.
Comment en est-on arrivé là ? quel est le secret d’une aussi grande «réussite» à faire l’unanimité ?
Le parcours est édifiant.

Quand il est nommé Premier ministre le 21 août 2014, Yahya Ould Hademine a de grandes chances de réussir sa mission qui est celle de faire du second mandat un vrai tournant dans la vie politique nationale. Tout en continuant les programmes engagés par son prédécesseur, Ould Hademine devait corriger les fautes, redonner de l’énergie au pays, imaginer des projets structurants et porteurs et, à partir des réussites attendues sur le plan des infrastructures, réhabiliter la confiance politique et redonner espoir à la jeunesse. Devenir le «grand» Premier ministre espéré.

Régler le compte de son prédécesseur

Entre ce que le public attendait et ce que l’homme s’est lui-même fixé comme objectifs, il y avait une grande différence.
Moins d’un mois après sa nomination, Yahya Ould Hademine entame une guerre sans merci contre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf. Parce que celui-ci avait décidé de s’affubler d’un titre de «Docteur», Ould Hademine devient «l’Ingénieur» (les majuscules ici ne sont pas fortuites). Mais c’est surtout la «démoulayisation» qui l’absorbe pendant les premières semaines de son exercice.
Première guerre, celle menée contre le programme Emel. L’action de sape est rapidement engagée : fermeture de boutiques, diminution des approvisionnements, désengagement des institutions tutelles, tantôt c’est à la SONIMEX d’exécuter le programme, tantôt au CSA… Le dossier finit même par atterrir sur la table du Conseil des ministres en janvier 2015 et par provoquer un échange houleux entre le Docteur et l’Ingénieur. Le premier essayant de défendre Emel en arguant qu’il s’agit d’un programme profitant aux populations nécessiteuses, le second prétextant que le coût du programme est énorme et essayant même de suggérer une inspection d’Etat pour auditer ce programme qui a déjà coûté cher, trop cher.
Soutenu à ce stade par le ministre des finances, Moktar Ould Diaye, il obtient le feu vert pour «mieux gérer les engagements». Ce qui se traduit par une asphyxie progressive jusqu’à extinction partielle du programme.
Deuxième axe de la «démoulayisation», l’épuration du gouvernement, de l’administration en général. Cela se traduit par les départs massifs des conseillers et des secrétaires généraux, parents ou amis de Moulaye Ould Mohamed Laghdaf. Suivront, au compte-goutte mais de façon inexorable, les ministres supposés ou réellement proches de l’ancien Premier ministre : Ba Ousman, Ahmedou Ould Jelvoune, Sidi Ould Zeine, Hindou Mint Aïnina, Bamba Ould Daramane, Hammadi Ould Meymou… et la liste est longue. Resteront dans les pieds de Ould Hademine quelques-uns contre lesquels il n’a rien pu visiblement. Mais il existe mille façons de les bloquer.
Un exemple, celui de Naha Mint Mouknass qui n’arrive pas à faire des nominations dans son département pourtant pourvu d’un nouvel organigramme. Le Premier ministre Yahya Ould Hademine a voulu lui imposer les nominations, ce qu’elle a refusé. Alors il a bloqué le «remplissage» de l’organigramme proposé. Il existe actuellement plusieurs postes de grandes responsabilités qui ne sont pas pourvus depuis deux ans faute de feu vert du Premier ministère.
C’est ce genre de bras de fer qui a amené Me Brahim Ould Daddah à jeter l’éponge, provoquant une crise au sein du gouvernement par son départ inattendu. L’Ingénieur Ould Hademine a voulu imposer ses hommes, comme il l’avait fait la fois précédente quand il avait changé la proposition du ministre pour le Conseil de la Magistrature. Cette fois-ci, Me Ould Daddah ne voulait pas se retrouver avec les juges réputés protecteurs du système «chipeko» comme avant.

Interférences politiques

Mais là où l’Ingénieur Yahya Ould Hademine a le plus brillé, c’est sans doute dans les interférences dans les processus politiques.
Quand il arrive au pouvoir, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz envisage de reprendre le dialogue de manière plus inclusive. Il ne lui coûte rien au début d’un second mandat qu’il accepte comme le dernier, de renforcer le front intérieur pour prémunir le pays contre les hasards des devenirs politiques et s’assurer de la solidité du système qu’il entendait laisser derrière lui. Ses premiers discours vont dans ce sens.
C’est naturellement à son ministre secrétaire général de la Présidence, «Docteur» Moulaye Ould Mohamed Laghdaf qu’il confie la mission de reprendre langue avec les opposants. Lui qui a déjà quelques expériences en la matière notamment celle de 2009, rondement mené par l’ensemble du système. Mais «l’Ingénieur» est là…   
Au lendemain des premiers pas vers le rapprochement, le Premier ministre reçoit quelques figures de l’Opposition dont Mohamed Ghoulam Ould El Haj Cheikh de Tawassoul et Boydiel Ould Hoummoid d’Al Wiam. Il prend contact avec Mohamed Ould Maouloud de l’Union des forces du progrès (UFP) qui décline, tandis que le Rassemblement des forces démocratiques (RFD) anticipe pour dénoncer la démarche.
L’installation de l’Institution de l’Opposition Démocratique institutionnalise la participation de Tawassoul à toute ouverture. Mais le choix de Ould El Haj Cheikh est expliqué par l’existence d’une ligne contraire et dont il est le chef de file.
Malgré cela, le ministre secrétaire général de la Présidence continue ses contacts. Ce qui n’empêche pas le Premier ministre de convoquer le secrétaire permanent du Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU) pour lui remettre une feuille de route pour un dialogue inclusif.
Quelques propositions consignées sur un papier volant, sans entête ni signature. Il annonce l’engagement de la Majorité à s’inscrire dans la dynamique du dialogue constructif inclusif, en vue de créer «une atmosphère politique apaisée». Partant de ce principe et «en vue de concrétiser sa volonté d’ouverture, la Majorité déclare sa disponibilité à discuter les thèmes suivants qui ont été soulevés par l’Opposition». Pour ensuite proposer des thèmes à discuter : la couverture par les médias publics des activités de l’Opposition, le rétablissement de la confiance entre les deux pôles, l’arrêt de l’exclusion des cadres et hommes d’affaires de l’Opposition («s’il s’en trouve»), réorganisation du Conseil Constitutionnel, organisation de nouvelles élections municipales et législatives consensuelles et recul des sénatoriales, restructuration de la CENI, accord sur un calendrier électoral, réforme de la Constitution pour lever la limitation d’âge pour la candidature aux présidentielles, interdiction à l’Armée Nationale d’interférer dans la politique, organisation d’élections présidentielles anticipées, redéfinir les pouvoirs du Parlement et du Premier ministre, l’Unité nationale, la sécurité publique et extérieure, la loi et la transparence dans la gestion des affaires publiques, neutralité de l’administration, indépendance de la justice, relations des partis au pouvoir avec l’administration et la redéfinition du leadership de l’Opposition.
Le document conclut à la nécessité de discuter l’ensemble de ces questions «dans le cadre d’un dialogue national consensuel auquel tous les acteurs de l’espace politique national».
Première surprise : le document se prétend une réponse à un document écrit par l’Opposition et dont personne n’a jamais entendu parler. Deuxième : il propose une présidentielle anticipée alors qu’elle n’a jamais fait partie des doléances du personnel politique ; et une réforme de l’âge de candidature qui est une tentative de toucher aux articles sur les mandats.
Si le RFD rejette, le FNDU répond. En réalité la manière et le contenu du document ont donné une mauvaise impression qui va expliquer les réticences de l’Opposition vis-à-vis de la proposition de dialogue. Qui va cependant reprendre avec Moulaye Ould Mohamed Laghdaf. Cette fois-ci pour réussir à faire des conclusions après une multitude de rencontres qui ont lieu en avril et mai 2015 et au terme desquelles le Président Mohamed Ould Abdel Aziz réitère sa volonté de respecter la Constitution dans ses articles liés aux mandats.

Main basse sur la vie publique

L’interférence la plus évidente – et la plus décriée – est celle qui a permis au Premier ministre Yahya Ould Hademine d’empiéter sur les compétences et prérogatives de l’Union pour la République (UPR), le parti au pouvoir dont le gouvernement est sensé être l’émanation.
Pour régler définitivement le compte de son prédécesseur, l’Ingénieur Ould Hademine réunit les membres des deux chambres au cours d’un diner le 15 janvier 2017, alors qu’une réunion de la commission chargée de la supervision de l’application des résultats su dialogue est prévue le 17, deux jours après. Cette commission devait décider de la voie à suivre pour faire adopter le projet de réforme constitutionnelle. Mais le Premier ministre avait déjà décidé de passer par les Chambres pour le faire adopter sous prétexte – encore – du coût du référendum. Il invite donc députés et sénateurs pour leur annoncer la décision. 24 heures avant que la structure appropriée n’en discute. On connait la suite.
Le référendum est endossé par le Premier ministre qui s’en va en campagne avant terme. Il organise une caravane qui s’arrête «seulement là où il faut» (là où il est sûr d’être accueilli comme il le veut). C’est en grande pompe, avec couverture médiatique qu’il organise des meetings qui sont l’occasion de raviver les divisions locales et d’exciter les factions. Cela se répercutera sur les résultats dans les zones où la voix du Premier ministre a porté. C’est au cours de cette précampagne qu’il lance une concurrence ouverte au parti en organisant des sorties dans l’Aftout au moment où le Président de l’UPR entendait donner le maximum d’écho à ses déplacements dans le Trarza. Le parti est éclipsé par le Premier ministre qui devra pourtant proposer le recours à l’administration et aux anciennes combines pour s’assurer du succès du référendum. Peine perdue. Les résultats seront ce qu’ils furent, mais l’essentiel est fait. Pour l’Ingénieur qui devient le maître absolu de la vie publique.
C’est lui qui dirige les affaires politiques, mais aussi économiques. Il réussit à opérer des fusions comme celle de l’ENER et de l’ATTM. L’entreprise chargée de l’entretien routier n’est pas déficitaire alors qu’on parle d’un vieux trou de 12 milliards pour l’ATTM. La fusion permettra d’effacer définitivement les traces de toutes les mauvaises gestions antérieures.
Le patronat change de président. L’ancien patron des patrons, Ahmed Baba Ould Azizi était en guerre avec le Premier ministre qui lui a toujours rendu la monnaie.
Si bien que Ould Hademine est aujourd’hui, l’homme le plus puissant de Mauritanie. Celui qui a la faculté de nommer de dénommer, de fusionner, de faire disparaitre entreprises et institutions, d’affecter les fonctionnaires, d’envoyer les inspecteurs et contrôleurs de l’Etat là où il veut pour confondre qui il veut…
Natif du Hodh Chergui (Djiguenni), Yahya Ould Hademine est l’un des premiers ingénieurs de Mauritanie. Il fait partie des premières générations ayant fait leur formation au Canada. Il a travaillé à la SNIM où il a fini par être directeur général de la SAFA (société arabe de fer et d’acier), puis de ATTM (autre filiale de la SNIM spécialisée dans le BTP) avant d’être promu ministre de l’équipement et des transports dans le deuxième gouvernement de Ould Mohamed Laghdaf de l’après-élection 2009. C’est ce dernier qui l’aurait proposé à ce poste.
Sa nomination au poste de Premier ministre devait servir à Yahya Ould Hademine pour être l’artisan du nouveau statut de véritable chef de gouvernement. Pour promouvoir la volonté de dialogue inclusif. Pour renforcer l’existant et continuer à entretenir l’espoir de lendemains meilleurs. Pour participer aux refondations d’un Etat moderne, égalitaire et juste ; d’une société solidaire et dynamique… Trois ans d’exercice, on peut se demander : «où est-ce qu’on en est ?»


Ould Oumeir

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