D’abord
les enfants autour du tamtam qui a, toute la journée, séché au soleil. A intervalles
réguliers on aspergeait d’eau la peau pour la tendre encore plus. Une manière
de parfaire le son qui sera produit, de le rendre plus grave, plus intense. C’est
encore pour cela que la peau enroule deux poutres sur lesquelles s’assoiront de
part et d’autre les plus grosses des femmes pour mieux tendre la peau. La batteuse
se mettra au centre et, avec deux bâtons, percutera régulièrement la peau. C’est
un art que peu de femmes maitrisent encore chez nous. Tenwazel, la fille de l’une
des grandes maitresses de cet art, feue Salka Mint Hayjara, joue encore à la
perfection l’art du tamtam.
Quand
elle commence à jouer des deux bâtonnets, elle est entourée de femmes qui
forment la chorale tout en produisant une rythmique d’accompagnement par le
battement des mains. Le chant est composé de quelques poèmes dédiés à la gloire
des héros d’antan. Une poésie sans prétention aucune mais dont la simplicité
consacre la beauté. Parce qu’elle la rend encore plus populaire, plus excitante
pour ceux qui la chantent et qui y mettent toute leur énergie et leur art.
Place
aux femmes et aux adultes. Plus la fin de journée approche, plus les gens s’excitent
autour du tamtam. Les hommes arrivent avec leurs bâtons à la main. Ils doivent
entrer deux par deux, parfois trois mais il faut beaucoup d’art et de précision
pour jouer à trois. C’est une danse typiquement de chez nous. Même si elle
existe ailleurs, c’est dans la région de Mederdra que les gens excellent dans
cet art et c’est ici qu’ils en font un sujet de conversation et un objet de
convoitise. Il a longtemps fait partie ici des critères qui font le gentilhomme.
Comme toutes les belles choses de la tradition, il s’est peu à peu perdu mais
il conserve toujours le même intérêt populaire.
Quand
deux joueurs de bâtons entrent en scène, les joueuses de mains s’excitent tout
autour ajoutant à l’électrification de l’ambiance qui atteint son paroxysme
quand le claquement du bois vient compléter l’harmonie déjà produite par le son
lourd du tamtam et les battements de main. Les femmes entrent en scène en
battant des mains. Elles dérangent rarement les joueurs de bâtons. Au contraire,
on dirait que le désordre ainsi créé contribue à donner un niveau supérieur au
jeu… d’ailleurs ce n’est plus un jeu, c’est une danse qui prend forme souvent
très clairement. Les bâtons ne sont plus qu’un complément servant aux danseurs
pour parfaire leurs mouvements. Le spectacle est complet.
Sans
s’en rendre vraiment compte, spectateurs, joueuses de mains et joueurs de
bâtons, danseurs de fortune, tous se retrouvent au milieu de l’arène. Un moment
de communion et d’exaltation extraordinaire. C’est justement ce qui fait que
cet art est resté populaire. Parce qu’il implique tout le monde, concerne tout
le monde, emballe tout le monde.
Comment
faire pour le réinventer, le restaurer et le préserver ? c’est la grande
question que je pose ce jour-là dans le quartier du Gawd à Mederdra.
«Celles
qui savent les mots tels qu’ils étaient chantés, qui battaient le tamtam comme
il fallait, ceux qui savaient manier le bâton à la perfection, celles et ceux
qui pratiquaient cet art comme il fallait, ceux-là sont partis. Ils sont
désormais ensevelis de sable à quelques encablures d’ici, dans le cimetière où
il y a désormais plus de gens que nous connaissons qu’il y en a dans la ville
des vivants…»
En
me répondant cela, Tenwazel Mint Hend, la batteuse, me rappelle à moi, tous ces
hommes et femmes qui ont peuplé mon enfance, ces hommes et ces femmes qui sont
restés éternels dans le souvenir des habitants de la ville. Son père Mahmoud,
sa mère Salka, mais aussi bien d’autres qui avaient un sens du partage, de la
solidarité, de la dignité, de l’humilité…
Qu’Allah accueille nos morts dans Son infinie Bonté
dans le Saint de Ses Paradis.