Heureuse
initiative que celle qui a consisté à organiser un festival «Layaali al
mad’h» (les nuits du Med’h), ce genre consacré aux louanges du
Prophète Mohammad (PSL). Pendant trois nuits, des troupes reconnues se
produiront dans l’espace de Biodiversité de Nouakchott. Ce sera l’occasion pour
ces troupes d’étaler leur art séculaire.
Dans
son discours d’ouverture, le directeur du Festival, Mohamed Ali Ould Bilal
devait déclarer que «plusieurs historiens d’origines diverses et
d’appartenances différentes se sont mis d’accord sur l’origine du Meddih qui
constituait une forme d’expression utilisée par certaines communautés qui
souffraient de privations diverses, implorant ainsi la puissance divine à
travers les louanges au Prophète, pour plus de justice et de miséricorde, dans
un esprit de grande spiritualité, loin de toute idée de vengeance ou de
violence» (traduction distribuée par les organisateurs).
Ce
qu’on veut dire ici, c’est que le genre «Med’h erçoul» (louanges du
Prophète, PSL) fut un exutoire pour la caste des esclaves. Une lecture du
phénomène qui occulte toutes les formes de ce Med’h. Il fut ce que
furent les Gospels aux noirs d’Amérique.
Si
l’objectif des Nuits est de célébrer le Prophète en perpétuant ses louanges à
travers les chants qui lui sont dédiés, il aurait été plus adéquat de faire
appel à toutes les écoles que je me permettrai de diviser en trois.
Celle
qui est effectivement la spécialité des Haratines. On se souvient encore dans
les campements de ces soirées qui commençaient tard dans la nuit autour d’un meddah
accompagné par plusieurs chedad (chœur). C’est souvent le meddah
qui joue au tamtam alors que le chœur et l’assistance sont chargés de faire
l’ambiance qui accompagne. Je ferai appel à deux expressions et une promesse
(sagesse) pour expliquer la portée de ces concerts nocturnes.
«il
hammu li’bu yizyaan, isabag hem ilbidhâne», celui qui veut que sa prestation
soit belle doit d’abord en finir avec les tâches qui lui sont confiées par les
Bidhâne, sous entendu par ses maîtres. Le moment choisi est fatalement tard
dans la nuit, quand on aura fini de traire les animaux, de servir les repas,
d’accompagner les maîtres pour leur sommeil… quand tous les autres n’auront
plus besoin du meddah que celui-ci a le droit d’aller célébrer celui
d’ont il espère l’intermédiation devant la Toute Puissance divine, le Prophète
Mohammad PSL.
«Ijiih
‘la med’h erçoul», il s’agit là d’une expression utilisée quand on veut
dire que quelqu’un vous en veut gratuitement, sans raison aucune. On dit alors
qu’il peut vous en vouloir parce que vous aurez chanté le Prophète PSL. On
imagine aisément les conflits qui naissaient si le meddah s’aventurait à
filer danser et chanter sans avoir terminé les besognes confiées par le maître.
La sanction tombe alors pour la faute qui consiste à …chanter le Prophète.
La
deuxième forme du med’h est celle pratiquée par certains milieux
maraboutiques et qui est perpétuée aujourd’hui par des ensembles reconnus dans
les villes anciennes (Chinguitti, Wadane, Tichitt et Walata). Dans le
sud-ouest, existe encore l’école d’Ehl Ethfaqa A’mar grâce au merveilleux
talent notamment des filles. En Inchiri, il existe un genre particulier. Il
faut ajouter à cette forme, celle pratiquée dans les milieux soufis. Il s’agit
d’un med’h qu’on peut qualifier d’élitiste parce qu’il est le fait d’une
élite religieuse, ou de familial quand il perpétue une tradition.
La
dernière forme est celle consacrée par des griots donnés. Ceux-ci choisissent
de vouer leur art ancestral à la pratique des louanges du Prophète PSL. Le 20ème
siècle a vu Ahmedou Ould Meydah exceller dans cet art. Aujourd’hui, Mohamed
Ould Chighali est en train de faire son chemin.
Il
est vrai – c’est incontestable – que le med’h pratiqué par les Haratines
a dépassé le cercle restreint de l’expression d’un refuge, de la recherche d’un
moment de fuite, pour devenir un art reconnu par tous. D’où l’importance de la
promesse faite à tout celui qui participe à la célébration des louanges du
Prophète Mohammad : le muscle qui réagit en accompagnant le rythme produit
ne pourra jamais être exposé à l’Enfer promis aux mécréants et apostats. Une
belle manière d’autoriser et même de sacraliser les séances du med’h qui
sont finalement des moments d’échanges, de communion et de célébration, des
moments sans frontières sociales.
«Bientôt
incha Allah nous jouerons ici au bâton (enneygour), nous danserons ici Bendja,
Degdague, Tekre, Entoussan et nous écouterons les notes de Neyfara, Erbab, qui
enchantent l’âme… Tout en continuant bien sûr à chanter les Louanges du
Prophète», promet le directeur du festival.
L’ensemble du folklore ainsi énuméré est un pan
essentiel de la culture bidhâne, celle qui fait la spécificité de cette
société, celle qui est sa vraie richesse, qui est l’emblème de son identité, sa
source de fierté. Ce pan de la culture mérite d’être célébré. Il mérite un
festival, non pas de trois nuits, mais de plusieurs nuits pendant lesquelles
toutes les variations seront présentées. C’est aussi une promesse faite par les
organisateurs du présent festival.