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lundi 20 octobre 2014

Timbuktu ou le chagrin des oiseaux : Un film qui va loin

Après le succès de l’avant-première à Nouakchott, le film Timbuktu de Abderrahmane Sissako continue sa route vers la consécration mondiale. Il a obtenu depuis cette représentation à Nouakchott, le Bayard d’Or du meilleur film et celui du meilleur scénario au 29ème festival international du film francophone de Namur. Une consécration qui doit le booster dans sa marche vers le podium des Oscars.
En effet, avec le film de Sissako, la Mauritanie fait partie des 83 pays sélectionnés par l’Academy of Motion Pictures Arts and Science pour concourir aux prochains Oscars qui auront lieu le 22 février 2015 à Los Angeles aux Etats Unis. Une campagne médiatique devra être lancée pour la promotion du film et de son réalisateur pour permettre sa sélection parmi la dizaine de films qui passeront le cap en décembre prochain. Ce qui explique l’absence prolongée du réalisateur qui sera pris par cette promotion les mois à venir.
«C’est important pour tout cinéaste de donner de la visibilité à son film, explique Abderrahmane Sissako dans une interview chez nos confrères de QDN. Les festivals de Cannes, de Londres… donnent de la visibilité. Mais les Oscars, c’est important, c’est mondialement connus avec une sélection extrêmement rigoureuse. Timbuktu a été choisi par la Mauritanie et nous pouvons prétendre à une nomination pour les Oscars. Je pense que le film a vraiment ses chances car il s’inscrit dans une problématique très importante aujourd’hui».
Présenté au Festival de Cannes en mai dernier, le film Timbuktu ou Le chagrin des oiseaux avait obtenu le Prix du Jury œcuménique et le Prix François-Chalais qui récompense les valeurs du journalisme. C’est que le film raconte une chronique, celle d’une ville millénaire qui étouffe sous l’emprise de la barbarie et de l’intolérance.
A l’image des chroniques historiques des vieilles cités sous nos latitudes, la chronique de Abderrahmane Sissako raconte le destin tragique d’une ville qui a été la splendeur de l’espace sahélo-saharien avant de devenir le fief d’une idéologie qui se fonde sur la négation de la vie. 
Timbuktu, une ville-martyre, abandonnée peu à peu puis brutalement à son sort. Destruction des monuments historiques dans une (vaine) tentative de nier cette Histoire pleine d’enseignements allant à l’encontre de toutes les lectures et postures des apostats qui se revendiquent pourtant de la Religion. Répression de toute émotion chez une population oubliée de ses frères, de ses amis, de ses semblables… Plus le droit de sortir, de fumer, de s’aimer, de jouer, d’apprendre, de chanter, de danser, de manifester, de parler librement, même de parler sans rien dire…
«Ce qui s’est passé à Timbuktu a été un traumatisme, pas seulement pour les gens du Sahel. Cette ville est un symbole de tolérance, de culture avec les grandes universités du 13ème siècle… Timbuktu, c’est une façon de vivre, un esprit. Quand cette manière de vivre est attaquée, que l’on vienne de Tmbuktu ou pas, du Sahel ou pas, on se sent concerné. Le film, au-delà de la question du terrorisme, montre une population sous le choc d’une vision contraire à ses traditions, a sa culture…»
Comment l’une des merveilleuses cités de l’Islam médiéval, l’un de ses plus grands centres culturels ayant rayonné sur le Monde, l’un des trésors de l’Humanité a-t-il été pillé, comment a-t-il été abandonné, comment ses populations ont-elles vécu le drame de l’occupation… ? L’art au service des questionnements… en laissant le spectateur libre de juger, on essaye, à travers ce qui n’est plus une fiction, de partager la douleur, la souffrance de la communauté musulmane vivant dans le Nord malien. La même souffrance est bien sûr vécue en Irak, en Syrie, en Lybie… partout où ces bandes de Jihadistes prennent le pouvoir pour, disent-ils, «instituer un Califat islamique». Bien avant les Yazidis ou les Chrétiens, bien plus qu’eux, ce sont d’abord les Musulmans, Sunnites et Chiites, qui ont souffert dans leur chaire la folie de ces groupes. «C’est d’abord l’Islam, explique le réalisateur, qui est pris en otage depuis un certain temps. C’est une situation terrible pour moi en tant que musulman. Et, en tant qu’artiste, je ne veux pas que la vision de cette religion soit seulement celle qui est véhiculée dans les sociétés occidentales. La référence pour ces sociétés, c’est le 11 septembre, les attentas, ceux qui égorgent des gens au nom de l’Islam. Des personnes qui se sont approprié l’Islam pour commettre des crimes barbares et inacceptables» (interview QDN).
La présence à Cannes n’est pas une première pour Abderrahmane Sissako qui avait été accepté sur la sélection officielle «Un certain regard» en marge du prestigieux Festival en 1993 avec son film Octobre qui raconte l’histoire d’un amour impossible entre un Africain et une Russe.
Puis en 2006, Sissako présente Bamako hors compétition à Cannes. Ce film est une révolte contre le diktat de la Banque Mondiale qui y est décriée comme la source des grands problèmes de l’Afrique. Le cinéaste a tout simplement donné la parole aux populations pour en juger.
En fait, la relation avec les festivals commence pour Sissako en 1991 avec Le jeu qui fait une entrée remarquée au Fespaco de Ouagadougou. Le succès est relatif parce qu’il est finalement acheté par Canal+ (c’est son argent qui sert à tourner Octobre. C’est bien au Fespaco qu’il signe son plus grand succès avec En attendant le bonheur (Heremanco) en 2003 où il obtient le grand prix Etalon de Yenenga qui est la plus haute distinction du festival du cinéma africain.
S’abstenant de verser dans la facilité, le cinéaste se refuse à produire la fiction pure, peut-être parce que les réalités africaines sont déjà assez émotives pour créer cette communion entre le public et le produit artistique, nécessaire à tout succès du cinéma d’aujourd’hui. Ce succès dépend d’abord de la capacité du récit à rendre l’image et tout l’accompagnement technique (cadrage et reste), à en faire un langage universel qui parle aux cœurs et à la Raison. D’où ces notes de réalisme, ce soucis de coller à la réalité des événements relatés, tout en suggérant l’affection, la mélancolie, l’émotion provoquée par le beau… Des fresques qui vous font voyager et rêver tout en vous invitant à partager les misères du Monde.
En attendant le bonheur a servi à fixer les désillusions d’un jeune mauritanien qui, après des années d’exil et de séparation, retrouve les siens dans des conditions de vie difficile. Bamako, c’est le procès à la Banque Mondiale et à l’Ordre mondial inique.
«J'ai le sentiment, explique Sissako, que celui qui regarde me ressemble». C’est certainement ici qu’il faut trouver la première raison du succès de notre compatriote : cette capacité à se mettre dans la peau de l’autre, à l’inviter à partager malgré lui, à se reconnaitre malgré lui dans le regard que le cinéaste jette sur notre vécu.
Autre raison du succès, c’est l’absence du désespoir : «on ne pas parler de la barbarie sans espérer», nous dit le réalisateur. C’est plus que cela : on ne peut dépeindre les misères du Monde en voulant les changer, sans donner goût au futur. D’ailleurs, c’est bien la désespérance qui mène cette jeunesse droit vers la mort. C’est bien parce qu’ils n’ont pas de projets de vie, que les groupes extrémistes magnifient et subliment la mort. C’est pour cela que le projet de non-vie qu’ils proposent est fondamentalement une négation de l’Humanité, mais aussi fatalement une dérive de la voie de Dieu qui est d’abord Bonté et Miséricorde.
«Tous les extrêmes ont leurs sympathisants. Des gens désespérés qui tombent de ce coté. Des gens qui, a un moment, ont basculé faute d’écoute. Et, ceux qui basculent ainsi sont nos frères, parfois nos sœurs, nos voisins. Il ne faut donc pas créer cette sorte de frontière terrible qui fait du djihadiste le monstre dont il faut à tout prix couper la tête. Leurs actes sont barbares, inhumains. Des jeunes de 20 ans vont de ce coté car il y a un horizon complètement bouché. Il faut aller à la recherche de ces gens pour les conduire vers plus lumineux».

Timbuktu a été présenté en avant-première à Nouakchott en présence du Président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz. Le réalisateur tenait à le présenter à ses compatriotes avant d’aller en France. Une manière pour lui de remercier les autorités de son pays qui l’ont accompagné dans son projet. Pour le film, la route de la gloire semble tracée. Elle passera par Toronto, Sydney, Paris…

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