Chaque fois que je suis à Néma, la première
réflexion qui me venait à l’esprit était de me dire que c’est ici que se perd l’Espoir.
Je m’imagine le voyage de cette route pompeusement appelée «Route de l’Espoir»
et qui quitte Nouakchott pour mourir, 1200 kilomètres environ plus loin,
quelque part dans ce cul-de-sac que constituent les arêtes du D’har. Ici la
rocaille donne cette couleur noire à la poussière qui s’élève pour un oui ou
pour un non, chaque fois que vous toussez ou que votre voisin le fait, un
courant d’air se forme, un vent se lève. Il chauffe immédiatement, (re)chauffe
en frappant sur les falaises rocheuses des plateaux environnants, vous revient
plus chaud, vous (re)grille la peau, réabsorbe ce qui reste de fraicheur et d’humidité
et repart vers les contreforts pour prendre un nouveau coup de chaleur et
revenir toujours plus chaud… Un cycle infernal qui commence déjà en ces jours
de tiviski, le printemps local finissant.
A onze heures, les habitants sont déjà terrés
chez eux. Le soleil n’a jamais été aussi Roi de toutes saisons, pas seulement
des étés. Très rares ceux qui ont le courage de sortir. Pas de bruit. Quelques voitures
qui passent allant d’une administration à l’autre (la plupart des véhicules
appartiennent à l’administration ou à des notables ayant l’essentiel de leurs
relations avec elle)…
En ce samedi, Néma connait une forte activité. C’est
que la cérémonie de clôture de l’exercice multinational Flintlock se prépare. Des
ministres et les chefs de corps ont fait le déplacement (voir le reportage
consacré à la question dans le journal La Tribune). Des dizaines de militaires
venus de 18 pays dont la Mauritanie. Beaucoup d’Américains, de canadiens, de
Sénégalais, d’Espagnols, des Algériens, des Marocains, des Tunisiens… une
ambiance exceptionnel. La veille, soldats et sous-officiers ont célébré dans la
joie le moment de se dire adieu. Aujourd’hui, c’est aux officiels du
commandement de tirer les conclusions.
Un moment de fraternité où les frontières
disparaissent et où les émotions sont les plus fortes. La ville elle vit à la
marge des évènements.
Le soleil écrase toute velléité d’épanouissement.
La saison n’est pas celle du faste bonheur. On n’est certes pas encore à la
saison sèche synonyme de disettes et de tristesses, mais elle s’annonce rude et
inquiète par ses effets qu’on imagine déjà.
Nous sommes finalement comparables à ces coléoptères
qui emplissent les nuits de leurs pleurs tragiques et à qui l’on prête la
crainte des chaleurs des lendemains. Ils ne pleurent pas aujourd’hui, ni ce qu’ils
ont perdu hier, mais ce qu’ils attendent pour le lendemain…
Pourtant la Route de l’Espoir
ne finit plus en queue de poisson. L’extension du réseau routier dans la ville
de Néma quadrille désormais les quartiers qu’elle a permis de désenclaver. Revalorisant
du même coup les terrains d’habitation et encourageant leurs propriétaires à
investir plus et mieux. Il y a plus de maisons «bien construites», plus
de boutiques bien achalandées, des épiceries qui prennent l’allure de celles de
Nouakchott, les rues sont plus éclairées la nuit, plus animées aussi… Le «goudron»
ne meurt plus au milieu de nulle part, mais continue pour serpenter la montée
de la falaise qui mène à «El behga», la tâche blanche au milieu d’un
paysage tout de noir vêtu. Il tourne dans la ville pour rejoindre la Route de l’Espoir
qui, du coup, n’est plus cette route qui passait par là et qui finissait là,
mais une route qui continue pour mener dans l’un des quartiers, là où vous
allez probablement… Avec un rien l’Espoir renait.