Dans
le conscient collectif des Mauritaniens, Kobenni est resté cette contrée par
laquelle la plus grande opération de fraude est arrivée lors de l’élection
présidentielle de janvier 1992. Qui a oublié les 100% de votants qui ont porté
leur choix sur le candidat Ould Taya, lui donnant l’occasion de devancer et de
loin son concurrent immédiat Ahmed Ould Daddah ? On avait parlé à l’époque
d’un déploiement des chars vers les dernières heures de la nuit où l’on donnait
les résultats (25 au 26 janvier), déploiement en prévision de l’éventualité d’un
deuxième tour, rien n’indiquant plus que le président sortant était assuré de l’emporter
dès le premier tour. Puis la machine s’est mise en marche : les gourous
trouvèrent la parade. Des coins les moins attendus et les plus reculés, les
résultats devaient arriver le plus tard possible. C’est là qu’il faut agir. Les
artisans de cette méga-manipulation électorale – la première du genre dans
notre pays, sont encore vivants – trop vivants d’ailleurs – et peuvent
témoigner pendant qu’ils occupent les devants de la scène. Qu’est-ce qui s’est
passé entre le 24 et le 26 janvier ? Tout le monde savait que le candidat
de l’opposition ne pouvait passer, mais personne ne prévoyait un passage aussi «facile»
pour le président sortant et avec un écart aussi emportant (65 contre 33%). Alors
comment avez-vous fait, vous anciens sbires de Ould Taya, anciens gourous,
anciens bourreaux… ? dites-nous et vous aurez servi le pays pour une fois.
Kobenni
aujourd’hui est un gros village qui prend l’allure d’une ville. Ce n’est pas la
proximité de la frontière avec le Mali qui fait sa richesse mais le dynamisme
de sa population. Le commerce est certes alimenté à partir du Mali, soit pour
les denrées importées de ce pays, soit pour celles exportées vers ce pays. Aujourd’hui,
on ne sent pas les effets de la guerre et de la partition du Mali. Entre les
deux pays, le flux semble normal, même un peu plus intense que d’habitude. C’est
vrai qu’on ne voit plus beaucoup d’étrangers à la région, de moins en moins d’Européens
par exemple. N’empêche, la route connait un usage intensif. C’est d’ailleurs ce
qui explique son état du côté mauritanien. Car, malgré tout ce qu’on dit de
notre côté, la route Aïoun-Kobenni est dans un état lamentable.
A
l’entrée de la ville, nous sommes abordés par un policier perdu dans sa tenue
qui, après avoir été beige puis kaki, a gardé une tâche de chaque. Flottant littéralement
dans cette tenue, il tenait quand même une cigarette dans sa bouche et un
téléphone dans la main. Il chaussait une paire de sandales en caoutchouc
(erriya) et marchait très lentement vers nous. Il ne voulait pas couper sa
communication avant de nous atteindre.
Une
minute, deux minutes… je commençais à le regarder de telle manière à lui faire
comprendre que le temps passait. C’est ce qui l’énerva visiblement. Sinon qu’il
était déjà énervé par celle qui lui disait apparemment au téléphone ce qu’elle
pensait réellement de lui maintenant qu’il était loin d’elle. Sa discussion, on
l’avait entendue de là où nous étions.
Quand
il daigna s’adresser à nous, c’est naturellement avec le fameux : «‘arrvouna
brouskoum». Stupide démarche qui a le don de m’énerver. J’ai le choix entre une
présentation traditionnelle en déclinant l’appartenance tribale et en
descendant vers le nom et la filiation, sinon lui donner les papiers de la
voiture. J’optai pour cette solution.
«Je n’ai pas demandé les pièces de la voiture, je veux
savoir qui vous êtes…» Puant le mépris et l’impatience. Dans ce cas, les cartes
d’identité suffiront. Trois cartes lui firent remises. Ils nous regarda avant d’aller
dans le poste. Il prit le temps qu’il fallait. Quinze, vingt, trente minutes…
nous n’étions pas pressés et rien ne nous amènera à lui donner prétexte à nous
enquiquiner encore plus. J’avançais légèrement la voiture de telle manière à
bloquer un peu plus l’espace. Au bout de quelques minutes, il y avait assez de
voitures à attendre, pour que des
protestations fusent. Le famélique policier revint et nous remit les papiers
avec un «tvadlu» qu’il regrettait visiblement de devoir dire. Ici, c’est ça l’Etat…