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vendredi 20 avril 2012

Au pays du gâchis (5)


Je n’ai pas encore parlé des forêts classées… déclassées. De ce déboisement programmé par une administration corrompue et irresponsable pendant des années. Pour ceux qui, comme moi, ont connu les plaines alluviales du Walo et du Diéri, pour ceux qui ont connu la forêt d’El ‘Atf au Gorgol et tout l’espace qui s’étend sur les régions du Brakna, Gorgol, Guidimakha et un peu Assaba, pour ceux-là la vision de ces berges dénudées, de ces étendues aujourd’hui dégarnies, provoque une profonde tristesse…
Tout a commencé à la fin des années 80, avec les événements de 1989. Il n’y a pas que les hommes qui ont souffert de l’avidité des administrateurs et de l’exercice quotidien de l’arbitraire. La terre a aussi souffert. Parce que, aux yeux de «nos» administrateurs de l’époque (dont certains sont aujourd’hui des moralisateurs), ces terres étaient bonnes à cultiver… Cultiver… Non !
En fait, chacun distribuait les parcelles au profit de ses parents et amis, les revendait lui-même à de soi-disant agriculteurs. Cela était le prétexte pour accéder au crédit agricole, aux subventions de commercialisation, aux aides pour faire face aux fléaux qui ravageaient les cultures… Chaque année, le circuit était le même. Tout le monde y trouvait son compte. Tout le monde ? Non ! Perdaient dans ce jeu perfide, les populations locales, l’activité agricole et le pays tout entier.
Les forêts commencèrent à souffrir dans un deuxième temps, quand il n’y avait plus de terres cultivables à arracher aux populations, à «exploiter» en… exploitant l’Etat. Arrivèrent alors les commerçants de charbon de bois.
La loi dit que le charbonnier a le droit de consommer les arbres morts. Les administrateurs – toujours les mêmes – octroyèrent des permis à de riches commerçants de Nouakchott et d’ailleurs. Dans les années 90, on comptait parmi ces «opérateurs», des Guinéens et des Maliens.
Les heureux gagnants de ce loto destructeur de l’environnement utilisèrent d’abord le bois mort. Bientôt épuisé. On commença alors à «tuer» les arbres. Les méthodes s’apparentaient à des meurtres d’hommes. Deux méthodes étaient utilisées.
La première consistait à planter un clou géant au cœur de l’arbre (au milieu du tronc), à laisser la sève couler. Trois, quatre jours et voilà le bel arbre qui perd ses feuilles et qui meurt en versant des larmes (sève). La deuxième consiste à «pister» les racines pour en découvrir les bouts au loin. Autour de chaque bout de racine, on allume un feu qu’on entretient durant six à sept jours. L’arbre meurt lentement et inexorablement.
On fabrique ainsi le bois mort qui alimente le commerce des charbonniers. Une véritable maffia qui a été plus forte que tous les efforts de nos partenaires et ceux des collectivités locales qui voyaient ainsi dilapidée l’une de leurs ressources premières.
Je me souviens que la coopération française et le Groupe BSA avaient entrepris une action en vue de protéger ce qui restait de ces forêts. C’est la Garde nationale qui fut sollicitée. On a même envisagé de monter une unité de cavalerie pour surveiller cet espace. C’était trop tard : l’Etat était déjà à genoux devant les maffias et il ne restait pas grand-chose des belles forêts d’antan.
Les Mauritaniens d’aujourd’hui peuvent, s’ils veulent avoir une idée du gâchis ainsi opéré, regarder de l’autre côté de la rive du fleuve Sénégal. Ils verront une berge boisée et des forêts classées, réellement protégées.

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