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samedi 25 février 2012

A qui la faute ?


Comment donner l’information quand on ne sait pas ou quand on ne peut pas l’avoir ? Vous êtes, chers lecteurs, très exigeants vis-à-vis de nous. Sans raison particulière. Est-ce que vous vous êtes demandé un seul instant ce que vous avez fait à la presse pour attendre tant d’elle ? est-ce que le société mauritanienne, élites et hommes du commun savent ou essayent de savoir dans quelles conditions nous travaillons ? qu’est-ce qui nous permet de survivre, d’exister malgré toute l’hostilité ambiante ? est-ce que nous sommes outillés, préparés pour satisfaire les multiples attentes ?
Les questions ne manquent pas, ce sont bien les réponses qui font défaut. Qui ont toujours fait défaut… tout comme l’intelligence et l’équité. Au risque de se répéter, on rétorque à ceux qui se plaignent de ne pas avoir «Le Monde, New York times ou Al Pais ici», nous n’avons pas non plus le public qui peut exiger d’avoir des journaux de cette qualité, le public qui attend la qualité à ce niveau (de ce niveau).
Nous avons un public qui attend d’être suivi individuellement. Chaque Mauritanien (qui lit, parce qu’il faut qu’il lise, il faut aussi qu’il se décide à lire un écrit), chacun veut lire exactement sa version des faits, un peu pour justifier ses positionnements. Personne – ou rarement – ne veut entendre la critique. Le 9 janvier 1992, jour du démarrage de la première campagne présidentielle plurielle du pays, le président-candidat de l’époque Ould Taya me disait ces mots : «ehna nekhteyrou e’mara takhbatna biiha ‘an tgulenna etfou» (en substance : nous préférons qu’on nous tire dessus plutôt que de nous dire un mot qui ne sied pas). Il parlait au nom de tous les Mauritaniens, en tout cas de leurs élites.
On nous reproche notre «manque d’indépendance», seulement quand on exprime autre position que celle de l’interlocuteur. De même que le manque d’objectivité. Mais on est «indépendant» et «objectif» quand on défend celui qui parle ou quand on se contente de donner sa version des choses.
L’indépendance pour nous ne peut en aucun signifier autre chose que le fait, pour une rédaction, de choisir sa ligne rédactionnelle en dehors de toute influence extérieure à elle. Indépendance vis-à-vis des institutions étatiques, des partis, des groupes d’affaires, des groupes tribalistes ou régionalistes. Pour avoir un positionnement qui est dicté par les choix de la rédaction. Ceci est exprimé par l’éditorial ou par des billets individuels.
L’objectivité, c’est pour nous de pouvoir présenter les différentes versions des protagonistes d’un fait. Pas nécessairement de servir l’un contre l’autre. Parfois, dans des cas où il existe une victime d’un arbitraire par exemple (esclavage, expropriation, torture, censure…), nous trouvons qu’il est de notre devoir de venir en aide au plus faible, celui qui souffre. C’est notre engagement. Et c’est cet engagement qui fait que nous ne pouvons prétendre à l’objectivité (absolue).
Comprenez que quand nous parlons de personnalités, aujourd’hui essayant de se tenir debout, hier organisateurs de déportations massives de populations dans la Vallée, on ne peut pas le faire froidement. On est là pour rappeler les faits qui ont assombri notre Histoire, pour refuser à leurs auteurs de se fondre dans la foule et de faire comme si de rien n’était. Qu’ils se taisent, personne, peut-être, n’ira les chercher. Mais quand ils fustigent devant les populations qui ont souffert hier leur cupidité et leur méchanceté, les témoins doivent parler. Ceux qui ont dit non quand il le fallait, au moins eux, doivent pouvoir dire non aujourd’hui.
Ce qui donne aux journalistes un rôle d’objecteurs de conscience dans une société qui «oublie» facilement, qui «solde» allégrement le passé. Un rôle de témoins et d’intermédiaires entre hier et aujourd’hui. Quand nous donnons une information de l’immédiat, nous croyons qu’il est de notre devoir d’en rappeler les tenants et aboutissants, de les chercher y compris dans le passé.
On peut nous reprocher : la falsification des faits, le flou dans les choix, la prétention à l’objectivité quand on défend une position donnée, l’alignement sur le bourreau, la couverture du menteur… Heureusement pour nous que ce ne sont que quelques-uns qui pratiquent cela.
Après des décennies de culture du mensonge, de justifications de l’arbitraire et de normalisation de l’inégalité, nous avons hérité d’une mentalité où l’exigence de vérité, de justice, de bonne gestion, d’équité… où cette exigence a disparu. Pour laisser la place aux contre-valeurs qui nous rongent depuis des décennies. 

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