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vendredi 13 janvier 2012

Sous le linceul de l’abandon


Nouadhibou… je n’y suis pas allé depuis plus de deux ans. Reprendre une route que je connais par cœur, arriver dans une ville qui est pour moi le résumé d’une Mauritanie que j’aime : celle du labeur, de l’enracinement et de la modernité… Plus de deux ans…
J’y suis parce que la ville vient de perdre l’un de ses fils prodigues, l’une de ses personnalités-clés, en même temps symbole d’une vertu qui a survécu aux flétrissures du temps, à la voracité de la loi du marché qui a façonné des générations, un homme qui s’appelle Moustapha Ould Ghallawi et qui vient de quitter ce monde. Une vie remplie de bienfaits, de culture de l’abnégation, de culture de la vertu, de la mesure… Avec son épouse Aziza Mint Sbai, ils ont pu élever leurs enfants dans une atmosphère faite de bonté et de respect de l’autre. Ils ont su inculquer quelques-unes des plus belles valeurs qu’ils ont héritées de leurs environnements respectifs… La perte d’un tel homme est l’occasion de faire ce déplacement pour présenter des condoléances que je réitère ici à tous les habitants de la région, aux familles restreintes Ehl Ghallawi et Ehl Sbai, aux enfants, aux petits-enfants…
Nouadhibou affiche une profonde tristesse malgré ses rues grouillantes. Le premier interlocuteur va vous parler de la crise économique… vous pourrez vous dire : «ces Mauritaniens qui se morfondent toujours. Toujours à se plaindre. Toujours à parler…» Il va pousser pour vous dresser un tableau noir de la situation… un diagnostic sévère qui n’implique cependant rien sur le plan de la vie de tous les jours. Ni révolte, ni grève, ni contestation exprimée au grand jour… pourtant nous sommes bien dans la ville de la contestation, «la ville frondeuse» comme on l’appelait du temps de Ould Taya…
Cette ville croule aujourd’hui sous la poussière et l’odeur fétide dégagées par les cinq usines de farine de poisson. Cinq usines fonctionnelles… sur un total de 37 agréments qui devraient bientôt se concrétiser. Ce sont des usines qui collectent la sardinelle pour la transformer en farine destinée aux marchés européens d’aliments de bétail et d’engrais.
Ailleurs, ces usines ne traitent que les déchets des prises. Ici, c’est bien le poisson en entier qui est transformé parce que, plus il y a de protéine, plus le prix est élevé. Ailleurs, toute usine qui s’installe doit répondre aux normes environnementales. Ici, aucune disposition n’est prise pour protéger l’environnement et les hommes. Les odeurs pestilentielles dégagées par les cinq usines en activité font courir énormément de risques aux populations déjà affectées par des maladies respiratoires qui prennent l’allure d’épidémie. L’environnement, n’en parlons pas…
Nous sommes à cinq usines… et si toutes les usines prévues étaient en marche ? Et puis pourquoi cette ruée vers la production de la farine ?
Il y a quelques années, la FAO a demandé aux pays producteurs de mettre fin à cette activité qui détruit une source importante de l’alimentation des hommes dans les pays concernés. La FAO a réussi à amener le Maroc à démanteler une trentaine d’usines qui détruisaient ainsi la protéine dans un pays dont la population en a besoin. Toutes les usines démantelées au Maroc ont trouvé des partenaires en Mauritanie où elles ont commencé à s’installer. Nouadhibou en souffre avec cinq usines. A Nouakchott on en compte une.

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