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dimanche 30 octobre 2011

(Le temps) «coule et nous passons»


Ceux parmi vous qui n’auront pas reconnu quelques mots d’un ver de Lamartine, tirés de son célèbre poème «Le lac», vont devoir aller ailleurs… la suite ne les concerne pas.
La suite, c’est cette bataille continuelle que nous menons contre le Temps… nous voulons en faire un lieu… tandis qu’il coule pour nous, nous laissant au bord d’un cours que nous n’arrivons pas à suivre. Faute de n’avoir jamais essayé. Et nous tournons en rond.
Mais pour rompre avec la peur que cela inspire, je m’en vais vous dire que cette relation équivoque avec le Temps prend parfois de belles allures. Parce qu’elle inspire des poètes prodigues, des génies inégalés.
«kelhamd illi manzal la’laab
dahru vaat u gafaat shaab
likhriiv u taavi ‘aad ish haab
il harr u varqet yaajoura
u vraq baass ilkhayl illarkaab
ilmin ha kaanit ma’dhuura
u khlat bard ellayl u lemdhal
waryaaissehwa mahruura
u khlazaad igiliiw u dhal
ilkhayma hiya waamur»
Première traduction : (heureusement que le temps de l’occupation des grandes dunes/est passé et que la saison des pluies hivernale recule/que les fortes chaleurs/ont baissé comme le souffle de l’harmattan/qui empêchait de monter les chevaux/prétexte pour les mauvais cavaliers/et s’est mélangé la fraîcheur de nuit et de jour/le vent du nord ouest a soufflé/et s’est mélangé l’air humide des marigots asséchés, l’ombre des tentes et celle des accacias)

Deuxième traduction de Mick Gewinner, ancien professeur de littérature au Lycée français de Nouakchott, restée pour toujours amie du pays et de ses cultures:
Les grandes dunes ne sont plus occupées,
ce temps-là est passé, bonheur !
Le temps des pluies hivernales s’éloigne,
bonheur ! Les fortes chaleurs ont baissé,
comme le souffle de l’harmattan
qui empêchait de monter les chevaux,
-un prétexte pour les mauvais cavaliers, ha !
Et se sont accordées la fraîcheur de nuit et la fraîcheur du jour,
Et le vent du nord ouest a soufflé,
il s’est fondu dans l’air humide encore des marigots asséchés,
dans l’ombre des tentes et celle des acacias

Le génie inégalé de Erebaane, un poète de l’Aftout, nous place ici dans une perspective, jamais explorée – du moins à ma connaissance – par les poètes de l’espace Bidhâne. En général, on chante un lieu pour le moment qu’on y a passé, souvent aux côtés de la bien-aimée. Le lieu incarne alors l’amour impossible, le bonheur éphémère, le souvenir fugace… Il est, dans la lutte avec le temps, le prétexte de fixer un temps. De faire du temps un lieu. Une manière de le matérialiser de façon définitive. Chez Erebaane, c’est un temps qui est en lui-même la muse. Un temps qui n’est pas celui d’un homme du désert habituel. Le nomade maure ne trouve sa plénitude que pendant l’hivernage, période de pluies et de faste. Moment dans ce «temps cyclique» de bonheur : abondance (lait, viande…), abandon provisoire des grands déplacements, retrouvailles des campements, période d’amours par excellence…
Le Maure adore planter sa tente au-dessus de la plus grande et de la plus imposante des dunes. Il a une aversion naturelle pour les cuvettes, et surtout le fond des cuvettes. Notre poète Erebaane qui fait partie des génies du Trab el Bidhâne, chante justement le moment qui correspond au cycle qui voit les campements abandonner les dunes pour les cuvettes, à la fin de la période hivernale et au tout début de cet «automne» local où nous avons les prémisses d’une saison froide qui mettra du temps à s’installer. L’entre-deux saisons est un idéal pour le poète. Pas pour les beaux yeux d’une quelconque dulcinée, même pas pour un souvenir. Pour le temps lui-même. Ailleurs, Erebaane ne manque jamais de s’en prendre violemment au «temps maudit qui te donne certes de beaux jours, mais te fait souffrir en d’autres jours» (…ghayr eddahr tfu biih/maa yahsan bayaam ‘lahad/maa bayaam khra saa’ ‘liih).

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