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jeudi 21 juillet 2011

Shipeko encore


Pour les besoins de l’actualité, je vous propose en relecture un papier écrit le 14 novembre 2010 dans l’édition N°522 :
««Shipeko»… c’est un mot qui apparait comme sont apparus, il y a quelques décennies, des mots comme la gazra ou le thieb-thiib. Premières expressions du non-Etat, ces mots ont été à la base d’une culture faite de faux, de vols, de viols, de corruptions… Une culture vite adoptée par l’Appareil sécuritaire et administratif de l’époque, devenant du coup la règle dominante et même régissante. Aujourd’hui c’est autour d’un nouveau mot d’apparaître. C’est quoi donc ce mot «shipeko» ?
A la racine, il faudrait chercher le verbe en Arabe «shebeka», en Hassaniya «ishabak» qui veut dire grossièrement «croiser». Il s’agit d’un exercice qui consiste à contracter une dette auprès de quelqu’un avec engagement de la lui rembourser dans un délai donné et avec une «plus-value» déterminée à l’avance.
Une deuxième formule consiste à vous vendre un produit à crédit trois à quatre fois son prix, de vous le racheter à son prix réel ; par exemple vous céder une voiture qui coûte trois millions au prix fort de neuf millions, vous la racheter à trois millions que je vous donne immédiatement quitte à ce que vous remboursez les neuf millions dans dix mois. A la première échéance, si vous ne pouvez payer, la somme est multipliée par deux, trois, quatre… vous pouvez donc vous retrouver avec cent millions de dettes pour un montant de cinq millions à l’origine. Comme garantie de bonne foi, les demandeurs remettent souvent des chèques aux «créditeurs». Des chèques qu’ils prennent la peine de ne pas dater pour pouvoir les présenter à n’importe quel moment. C’est que la loi envoie le titulaire du chèque en prison s’il s’agit d’un chèque en bois, comme on dit. Un moyen de faire pression sur le débiteur le moment venu.
Des circuits mafieux d’usuriers se sont donc construits ces dernières années. Ce sont des banques qui pratiquent en toute illégalité le vieux métier de l’usure, pourtant interdit ici et ailleurs. Un système financier parallèle et malsain est ainsi né. L’usure devient l’activité principale de quelques-uns de nos jeunes entrepreneurs.
L’avant août 2005 a été marqué par la circulation d’un argent facilement acquis avec pour origines : les malversations dues à la mauvaise gestion des affaires publiques, le pillage de l’économie nationale par la distribution de prébendes aux dignitaires du régime de l’époque, le blanchiment de l’argent de la drogue, de l’Etat, de l’aide au développement, la profusion du charlatanisme… du coup l’enrichissement rapide et «flamboyant» a caractérisé cette période. On se rappelle encore ces «fortunés» qui occupent un moment l’espace public – mesrah - de Nouakchott pour devenir le centre de tous les intérêts. Thuriféraires, soirées animées et même chefs religieux… les heureux «gagnants» se construisent une cour qui dure le temps de flamber la fortune mal acquise.
On se souvient de toutes les histoires – construites ou réelles – qui ont entouré ce phénomène. Puis de certains procès qui ont fait date. On se souvient même que ces «coups» avaient fait des victimes à l’extérieur : le député Omanais qui avait été déstabilisé avant d’être déplumé par un groupe de faux investisseurs, les Emirs du Golf dépouillés par des charlatans…
Aujourd’hui, c’est le phénomène «shipeko» qui fait des victimes. Il ne se passe pas un jour sans qu’une nouvelle affaire n’éclate. Avec toujours le même profil : un type que l’on croyait à l’abri, vivant il est vrai au-dessus de la moyenne, mais affichant la possibilité de le faire, est traîné en prison par un ou plusieurs créanciers. On parle de dizaines de millions, parfois de centaines. Les solidarités tribales sont sollicitées pour sortir le prisonnier et payer à sa place… tellement de cas qui interpellent.
D’abord cet exercice illégal de l’activité de la banque, l’usure ensuite et enfin l’origine de l’argent crédité. Ce sont jusque-là les «victimes» qui payent, jamais les auteurs des «coups».
Ensuite la facilité pour la solidarité tribale d’être engagée. Malgré tout ce qu’on peut en dire, la tribu – quelle qu’elle soit – a toujours interdit l’expression de la solidarité en cas de faute grave. Pas question de payer pour celui qui a fauté. Cela se traduit dans l’Etat moderne par des chartes intérieures qui interdisent l’élan tribal dans les cas suivants : si l’individu a tué en conduisant une voiture non assurée ou sans permis, s’il a détourné des deniers publics, s’il a volé… en fait tout ce qui peut s’apparenter à un viol des préceptes moraux et religieux ne peut faire l’objet d’un effort collectif. Une manière de préserver la société et de ne pas encourager la forfaiture. Où en est-on aujourd’hui ?
Je ne sais pas si légalement il faille espérer une intervention de la force publique, mais si c’est le cas, il en est temps. Moralité : Arrêter de vivre dans l’informel et réhabiliter certaines valeurs. La refondation commence par là».

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