«…Eçalatu
khayroun mina ennawm…» Deux fois répétée par le muezzin dont la voix emplissait
l’entre-deux grandes dunes de Boutilimitt, la formule me réveilla, comme d’habitude,
en sursaut. Toujours l’impression de risquer de rater ces heures que l’on dit
bénites et où les incantations sont le mieux entendues. Aller aux toilettes
avant de faire les ablutions…
Je
ne fais pas attention à l’appel d’un deuxième muezzin qui ne comporte pas la
formule consacrée pour indiquer l’imminence de la prière matinale. Je termine
de faire mes ablutions et m’en vais accomplir le rituel préparatif. Me dirigeant
vers la mosquée la plus proche, je n’y trouve qu’une personne, probablement le
muezzin. D’autres appels se font entendre, aucun ne comporte la formule «Eçalatu
khayroun mina ennawm». J’en conclus que le premier s’était tout simplement
trompé. Je regarde l’heure : 4:45, j’ai le temps, avant l’heure dite, d’arriver
à Aleg ou ses environs et faire la prière là-bas. Ce sera dans la mosquée de
Bir el Barka, une sorte d’arrêt où s’alignent quelques «restaurants» qui
offrent aux voyageurs de la route de l’Espoir un cadre – peu convenable il est
vrai – de s’arrêter, le temps de boire un thé, de grignoter un bon méchoui
et/ou de se reposer. Au début était une sorte d’indépendance de la main d’œuvre
«servile» (esclave, en fait) vis-à-vis des anciens «marabouts» (maîtres). Au finish,
ce sera un gros bourg où l’activité principale est le service au profit des
voyageurs. Une mosquée animée et dirigée par des ressortissants du bourg, des
haratine ayant intégré le groupe de prédication (Adda’wa wa tabligh) qui leur a
permis d’accéder à un savoir, participant ainsi à leur émancipation et à la
construction d’une identité propre. Bir el Barka est aujourd’hui un passage
obligé pour les groupes de prédicateurs qui s’en vont en mission tout au long
de la route de l’Espoir, voire au Mali.
Signe
des temps, personne ne conteste le fait qu’un haratine dirige la prière aujourd’hui.
Surtout pas le marabout que je suis. Je suis donc heureux de faire cet arrêt
dans ce bled pour cette cause-là…
Aleg
se réveille lentement d’habitude. La ville est encore plus désuète que d’habitude.
La pluviométrie, excellente cette année, a contribué à détériorer un peu plus l’axe
principal de la ville ainsi que les devantures des maisons. Ce n’est pas le
propre d’Aleg, mais une constante des villes de l’intérieur : les plus
belles bâtisses, celles situées sur le «goudron», appartiennent en général aux
anciens prédateurs, ceux de l’époque de Taya quand celui-ci invitait les hauts
cadres à «fructifier» le bien mal acquis chez eux. Depuis le temps qu’ils ont «perdu
la main», la brillance des grosses bâtisses s’est fanée. Les propriétaires ne
sont plus assez pourvus pour entretenir l’image de prospérité qui participait à
fonder une aura politique qui était souvent très artificielle…
Le même état de délabrement de la route est
remarquable aussi à Magta Lahjar où la lumière brusque du jour fait apparaître
les champs en culture. La première fois que j’ai vu cette plaine de Magta
Lahjar, c’était en octobre 1984. Avec feu Habib, on allait rejoindre notre
poste d’affectation à Aïoun. On était frappé par ces étendues cultivées en pays
Maure. On n’avait rien vu de pareil sauf dans la Vallée du Fleuve Sénégal. Et parce
que je parle de ce frère prématurément disparu, je ne peux oublier ce qu’il
disait en traversant Sangrafa : «…une ville qui s’excuse d’être là…»
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