Horizon second mandat :
En avant toute !
Février 2019, la Mauritanie est gagnée par la
frénésie de l’attente d’une campagne électorale dont tous les contours
restaient inconnus. Même le candidat du pouvoir restait un inconnu. La crainte
d’une tentation de faire passer l’idée d’un troisième mandat était très forte…
Les choses se précipitent et le ministre de la
défense se porte candidat… ce qui rassurait une population qui s’est déjà
exprimée sur la personne.
Cinq ans après, le «candidat du consensus» doit
se lancer dans la course de la présidentielle 2024. Comment peut-il convaincre
qu’il est reste le meilleur d’entre tous ? Devra-t-il appuyer sur le
bouton reset pour annoncer le projet qu’il va lancer pour avoir le soutien
populaire requis ? Se contentera-t-il de reprendre les fondamentaux de son
projet, de renforcer le camp des loyaux inconditionnels ?
Analyse.
Quand il annonce sa candidature le 1er mars
2019, Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed Ould Cheikh El Ghazouani est loin
d’être un inconnu du grand public. Celui qui a dirigé la sûreté nationale après
avoir été l’un des principaux artisans du changement du 3 août 2005, puis
l’Armée, est connu pour avoir joué le rôle de «régulateur» dans un système
construit sur des relations empestées par les clivages et le radicalisme dans
les attitudes.
Avec lui, la sécurité et la défense ont connu une
révolution aussi bien dans la réorganisation que dans l’équipement et la
formation. Ce qui a permis de faire face aux périls d’alors avec notamment la
maitrise de l’environnement sécuritaire de la Mauritanie partie pour être le
maillon faible d’une zone sahélo-saharienne en prise à de nombreuses menaces.
«L’exception mauritanienne» a été bâtie sur un solide socle construit sous le
commandement du Général Ould Cheikh El Ghazouani.
Malgré l’atmosphère faite de craintes, d’agressions et de
vindictes verbales, le chef militaire a su garder son calme et est même devenu
une sorte de «mur des lamentations» vers lequel affluent toutes les victimes de
la mal gouvernance du moment. Il réconforte, corrige s’il y a lieu, réconcilie,
soutient et rassure. Tout en préservant les relations qui le lient avec le
Président Mohamed Ould Abdel Aziz, son compagnon d’il y a longtemps. Nous
saurons plus tard que ce dernier ne connaissait de lui que la seule face qui
lui convenait visiblement : celle du «marabout» qui se confond avec
«mollesse, laisser-aller, paresse, insouciance…» qui, dans l’esprit de Ould
Abdel Aziz sont les attributs de tout marabout.
En fait, quand on refait le film des événements, on se
rend facilement compte que «le Maitre des horloges» n’était pas celui que l’on
croyait. La nomination du Général Ould Cheikh El Ghazouani fraichement
retraité, au poste de ministre de la Défense, a été l’occasion pour des
milliers de citoyens mauritaniens d’affluer vers sa maison située dans
l’enceinte même de l’Etat Major général des Armées, comme pour prêter
allégeance à celui qu’ils espéraient déjà voir candidat alors qu’il était
encore un chef militaire. Ce mouvement de foules sans précédent a duré trois
jours. Préparant ce thème de campagne qui se résume ainsi : «le candidat
du consensus». Le discours du 1er mars est venu rassurer sur les
préjugés favorables qui ont accompagné sa candidature et qui vont se
concrétiser dès les premières semaines de son accession au pouvoir.
Convergences
Lancer le chantier politique au lendemain de la
nomination d’un gouvernement qui avait toute la latitude d’exercer dans le
cadre général des engagements du Président consignés dans le document
Ta’ahoudaty. Première démarche : apaiser les relations voire les
normaliser.
Le Président Ould Cheikh El Ghazouani rencontre les chefs
politiques, d’abord de l’Opposition en commençant par ceux qui s’étaient
présentés contre lui. Cette pacification de la scène est vite décriée plus ou
moins ouvertement par les caciques du système Ould Abdel Aziz qui tient encore
le pays. D’ailleurs, l’ancien président ne tarde pas à rentrer avec la ferme
intention de tout renverser : le parti UPR (Union pour la République) au
pouvoir en reprenant sa direction et même le pouvoir en tentant la reprise en
main des affaires. D’où l’urgence de procéder au toilettage du parti au
pouvoir. Suivra une procédure parlementaire qui devait fatalement aboutir à la
procédure judiciaire qui a duré un peu plus de trois ans. Empêchant le nouveau
pouvoir de se concentrer sur l’essentiel.
Une autre grande crise devait intervenir pour détourner
les efforts et peser lourdement sur le mental : la pandémie du COVID19.
Même si cette pandémie a détruit des vies, elle a permis d’alerter rapidement
sur l’état calamiteux de notre système de santé et de parer au plus pressé. Ce
qui a été rondement mené dès les premiers mois de la pandémie. Mais plus
important pour le pays et pour la société, l’engagement très solennel du
Président Ould Cheikh El Ghazouani a permis de réconcilier «l’Etat bienveillant»
avec ses citoyens. C’est bien l’Armée nationale qui a pris en charge la
distribution des aides aux plus démunis : pour la première fois de
l’histoire du pays, les populations recevaient une aide de l’Etat sans qu’on
leur demande une contrepartie (adhésion à un parti, participation à une
manifestation de soutien, voter en faveur d’un candidat déterminé…). Un «petit»
geste qui prend l’allure d’une «révolution».
La guerre en Ukraine a eu des conséquences
catastrophiques sur les pays comme le nôtre. Les déséquilibres économiques
qu’elle a engendrés avec notamment les dysfonctionnements dans la production de
céréales et surtout dans les circuits d’approvisionnement, ont pesé sur les
économies les plus faibles et ont révélé la fragilité de leurs structures ainsi
que leur dépendance très forte. Le Président Ould Cheikh El Ghazouani en a tiré
la leçon en décrétant que la sécurité alimentaire est l’un des fondamentaux de
«la sécurité nationale».
Trois crises – politique, sanitaire et économique – qui
ont au moins «modéré» le rythme des transformations promises à l’avènement du
pouvoir le 1er août 2019. Obligeant parfois à composer, souvent à
une «trop» grande prudence et toujours à chercher à subir le moins les effets
du choc en cherchant des équilibres sans provoquer de rupture.
Divergences
Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani réussit à donner l’image
de l’homme politique qui prend en compte les attentes des populations. Le
chantier social est rapidement lancé à travers l’Agence nationale de solidarité
appelée Taazur pour garder ce fondement philosophique du nouveau pouvoir qu’est
le partage. Tout comme «Al inçaf» entre dans la vision du Président qui entend
ainsi cultiver la valeur de l’équité dans le partage du bien national. L’une
des grandes réussites de ce mandat aura été le volet social pour ce qu’il a
apporté aux plus démunis en termes d’aides directes et indirectes et surtout de
couverture sanitaire qui tend aujourd’hui vers l’universalité.
Mais le souci d’inclusivité visant à embarquer toutes les
classes politiques dans cette œuvre de construction, va créer des problèmes sur
lesquels vont surfer les plus caciques des opposants. En effet, les «hommes du
passé» emmèneront avec eux leurs querelles et leurs ressentiments accumulés au
cours de leurs précédents exercices. Très rapidement, des clivages vont
apparaitre au sein de l’équipe gouvernemental : le premier Premier
ministre se crée un clan et cible le cabinet présidentiel, puis certains des ministres
supposés être ses collaborateurs. C’est de cette situation qu’hérite son
successeur et dans laquelle il va nager. Ces clivages s’intensifient avec
l’entrée dans la sphère gouvernementale de personnalités à très grandes
ambitions. Cette réhabilitation-promotion de certains acteurs controversés et
très décriés pour avoir été des figures de proue de «la décennie des affaires»
va faire craindre le pire aux premiers soutiens du Président Mohamed Ould
Cheikh El Ghazouani.
D’abord parce qu’il s’agit du retour en force de fortes
têtes ayant parfois été tout durant l’époque jugée devant les tribunaux et
considérées comme l’antithèse de la nouvelle gouvernance. Ce qui menace le
projet initial et met en péril le soft power qui est la marque déposée du
Président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani. Effectivement, la violence verbale qui
fait rage sur les réseaux sociaux est bien le fruit de ces clivages qui ne
peuvent s’expliquer que par les réminiscences d’un passé construit sur
l’exclusion et nourri de vulgarités et de règlements de compte insidieux.
Ensuite parce que l’élection présidentielle en vue cache
l’essentiel et peut donc donner des idées aux plus audacieux quant à la
perspective de 2029. Pour beaucoup d’entre les acteurs politiques, l’échéance
de 2024 annonce celle de 2029 qu’il faut donc préparer dès à présent.
Aussi la plupart des acteurs sont restés prisonniers des
enjeux locaux. C’est pourquoi ils s’occupent plus de leurs cousins, de ceux de
leur environnement immédiat que de la gestion globale de leurs départements.
Incapables qu’ils sont d’incarner la première volonté du Président qui est
celle de l’inclusion. Aussi bien au niveau du gouvernement que celui du parti
(Insaf), les premiers responsables ont été incapables de transcender leurs
«environnements réduits» pour voir la Nation dans sa globalité et incarner le
projet défini dans «Mes Engagements».
Relancer le projet
A plusieurs reprises, le Président s’est exprimé
solennellement pour rappeler à ses hommes les principales orientations. Les
discours de Wadane, de Tichitt, de Djewol, des anniversaires de l’indépendance,
ou ceux à l’occasion de sorties de promotions des grandes écoles… ces multiples
sorties ont sonné comme un rappel à l’ordre. Mais la résistance au changement
et aux réformes est restée forte, très forte. Par paresse peut-être, par
malveillance parfois et souvent par incompétence, les premiers concernés – membres
du gouvernement ou des instances dirigeantes du parti au pouvoir – ont refusé
de servir le projet de refondation d’un système porteur de valeurs. Le déni de
responsabilité a finalement eu raison de la moralisation du système de
gouvernance que le Président a continué de promouvoir.
Même si la dernière année d’un mandat ne peut être celle
du travail, il y a lieu ici de relancer le projet initial en renouant avec le
volontarisme originel. Avec le Pacte républicain signé entre certains partis
d’opposition et le ministère de l’intérieur, il faut construire le futur pacte
social et politique dans lequel tous les mauritaniens se reconnaitront. La
réforme de l’éducation doit annoncer des choix forts pour le futur proche
notamment en termes de formation et de construction d’une identité mauritanienne
authentique et résolument tournée vers l’avenir. Les réalisations dans les
domaines de la santé, des secteurs productifs et des infrastructures doivent
être audités et mises en exergue pour en faire le socle de développement qui
ouvrira la voie à l’émergence et confortera la résilience.
Cela ne doit pas nécessiter d’appuyer sur le bouton reset pour réinitialiser le projet, mais un sérieux coup de barre pour redresser le navire et accélérer le rythme de la marche sur la voie du progrès.