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mercredi 3 août 2016

3 août 2005-3 août 2016 : Comment est arrivé le changement ?

Le 2 août 2005, la Mauritanie est dans une impasse totale:
-       * Faillite politique avec l’hégémonie d’un Parti-Etat qui a participé à la dépréciation des institutions publiques par la fraude et l’usage du faux; un Parti-Etat qui a corrompu l’action politique par le clientélisme érigé en méthode de gouvernance; un Parti-Etat qui a fini par monopoliser l’espace politique.
-       * Faillite idéologique étant donné que le “mouvement de restructuration du 12/12/84”, acte fondateur du système du Président Moawiya Ould Taya, n’a rien proposé comme projet de société. En vingt-et-un ans d’exercice, la somme des réalisations se résume en un modernisme débridé, une démocratie tronquée, une économie exsangue, un système détraqué et une société éclatée…
-       * Faillite morale, avec notamment le dérèglement des valeurs fondatrices de la République et la prostitution des esprits.
-       * Faillite diplomatique, la Mauritanie devenant cet “orphelin géopolitique” qui n’était plus ni “pays africain” ni “pays arabe” après avoir été tous les deux en même temps.

Cette Mauritanie au bord de la banqueroute venait de connaitre ses premières attaques terroristes. Le 4 juin, le Groupe salafiste de prédication et de combat (GSPC) attaquait la garnison militaire de Lemghayti tuant une quinzaine de soldats mauritaniens. Une attaque qui permettra au groupe algérien de se faire la main avant de se muer en Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI). Une attaque qui fait craquer le système et son chef en premier.

Samedi 4 juin 2005, vers 17 heures, le Président Moawiya Ould Taya convoque certains officiers à la présidence. Parmi eux: le colonel El Arby Ould Jideyne, chef d’Etat Major de l’Armée nationale, l’aide-de-camp du Président colonel Hanenna Ould Sidi, le commandant de la sécurité présidentielle colonel Mohamed Ould Abdel Aziz et colonel Mohamed Ould Ghazwani chef du Deuxième Bureau (renseignements) de l’Armée. Le Président leur annonce l’attaque contre Lemghayti. Il venait d’apprendre les faits par l’intermédiaire d’un trafiquant de la zone qui se trouve être son cousin.
Les présents sont surpris par la violence des propos du Président qui a accusé les dirigeants de l’Armée d’être incompétents et irresponsables. C’est le point de départ d’un cycle de réunions qui ont marqué pour ceux qui y participaient la déchéance psychique du chef de l’Appareil. Le trauma était si profond que les réunions devenaient insupportables. Entre un Président excédé par la découverte de l’inanité de son système de sécurité et de défense et des officiers découvrant l’ampleur du désarroi d’un chef qui, malgré son passé militaire, semblait dépassé voire détraqué par le choc de l’évènement, entre eux la barrière de la communication s’épaississait de nuit en nuit, de réunion en réunion.
Les plus jeunes d’entre les officiers, Ould Abdel Aziz et Ould Ghazwani n’hésitaient jamais à le tempérer dans ses jugements, à remettre en cause ses propositions de manoeuvres militaires ne répondant souvent à aucune doctrine en la matière. Et quand ils quittaient les lieux, ils essayaient entre eux de tirer les conclusions de cette situation qui risquait d’entrainer le pays vers la dérive.
Une seule fois, ils ont voulu sonder le colonel Hanenna Ould Sidi qui, tout en donnant l’impression d’approuver les appréciations, n’avait montré aucun intérêt à en discuter clairement.
Ces nuits étaient l’occasion pour le Président d’imposer sa vision de l’action militaire à mener. Pour lui, il fallait équiper quelques bataillons et les envoyer “traverser le Mali et le Niger, d’ouest en est”. L’ordre était de “ramener Bellawar mort ou vif”.
Des officiers furent envoyés sur place pour préparer le contingent devant mener la contre-attaque. Chaque fois que l’un d’eux est envoyé en plein desert, c’est une chance parce que cela lui évite de souffrir les folies du chef.
Il faudra attendre plus de deux semaines pour voir les premiers éléments du contingent équipés et prêts à partir, grâce notamment au concours des groupes d’affaires qui ont assuré chacun un aspect de la préparation de l’expédition punitive: la logistique assurée par l’un, l’armement par un autre, les voitures par un troisième…
Tout pour dégoûter et alarmer les officiers qui paniquaient de plus en plus à l’idée que tout risquait de s’écrouler dans le pays. Même s’il leur arrive à en discuter à trois, parfois à quatre, et surtout au cours des missions de l’intérieur, seuls les jeunes colonels Mohamed Ould Abdel Aziz et Mohamed Ould Ghazwani en parlaient ouvertement entre eux. Plusieurs fois, les deux officiers ont été confrontés à des situations où ils avaient réellement pensé à renverser le régime.
Au lendemain des élections présidentielles de 2003 quand le gouvernement de l’époque avait recouru au montage du GRAB I qui accusait ses protagonistes d’avoir fomenté une prise violente du pouvoir. La discussion tournait autour de : jusqu’à quand le pays va-t-il supporter ces mascarades? Mais elle n’est pas allée plus loin que de se dire qu’à eux d’eux ils avaient la force nécessaire pour changer le cours des évènements: le colonel Ould Abdel Aziz dirigeait le Bataillon de la sécurité présidentielle, corps d’élite renforcé depuis le putsch manqué de juin 2003, le colonel Ould Ghazwani avait encore sous son commandement le Bataillon Blindé (BB) qui était en cours de réorganisation et qui n’avait rien perdu de sa force de frappe depuis le putsch. Le projet restera au stade de discussions et n’ira pas plus loin.
Les suites données à la tentative d’août des Cavaliers du Changement et surtout la purge sur la base du délit de parenté, mais aussi le traitement fait aux prisonniers accusés à tort ou à raison d’avoir participé à la tentative, tout cela devait aboutir à une irritation qui ramènera la discussion autour de la facilité de procéder à un changement de la situation.
Il faut attendre cependant ces nuits cauchemardesques pour que l’idée se précise et pour que la détermination soit au rendez-vous. Le pays ne pouvait pas supporter le hasard d’un coup mortel porté au Président ou encore l’aventurisme d’officiers incertains et peu préparés, comme ce fut le cas en juin 2003.
Moralement les deux hommes avaient immédiatement exclu la possibilité pour eux de venir directement à la résidence procéder à l’arrestation du Président Ould Taya. “Ne pas humilier”, c’est la règle qui doit caractériser l’action à venir.
Fin juillet 2005, deux voyages du Président Ould Taya étaient annoncés. Celui du 15 août qui devait mener le Président à Néma au Hodh, mais il fallait éviter tout ce qui pouvait entrainer une confrontation entre forces mauritaniennes. À Néma, le Président sera loins du dispositif pouvant assurer un minimum de sécurité pour l’opération.
Le deuxième voyage était celui prévu pour Paris, juste au retour de Néma. Mais comment la France va-t-elle réagir? Ne risquait-on pas de livrer le Président Ould Taya à ses détracteurs militants des droits et cherchant à le traduire devant la justice international?
Dimanche 31 juillet 2005, une énième réunion des chefs militaires pour apporter les dernières retouches à l’expédition punitive dont les premiers éléments étaient perdus dans le désert malien après un premier accrochage avec les terroristes.
Parmi les présents: Colonels El Hady Ould Sediq, chef d’Etat Major particulier, El Arby Ould Jideyn, chef d’Etat Major de l’Armée nationale et son adjoint Abderrahmane Ould Boubacar, Sidina Ould Yehye Inspecteur général des forces armées, Ahmed Ould Amoyne chef de l’armée de l’air, Alioune Ould Soueylim chef du troisième bureau (B III), Mohamed Ould Ghazwani chef du deuxième bureau (BII) et Mohamed Ould Abdel Aziiz commandant du BASEP.
Entre autres insanéités décidés au cours de cette réunion, la décision d’envoyer les colonels Abderrahmane Ould Boubacar et Mohamed Ould Ghazwani dans le désert malien. L’ordre du Président était à peu près ainsi libellé : “Vous allez partir dans des voitures banalisées, deux GX ou VX, avec assez d’argent de différentes monnaies. Votre mission consiste à investir les milieux touaregs et arabes du Nord malien pour localiser et exfiltrer Bellawar. Je le veux vivant et je suis sûr qu’il vit tranquillement parmi les populations du Nord. Au chef d’Etat Major de vous disponibiliser tout ce dont vous avez besoin dès demain matin”.
La réunion prend fin vers deux heures du matin. Toujours le même sentiment d’amertume et de crainte pour l’avenir du pays. Chacun rentre cependant chez lui sans vraiment penser au lendemain.
Tôt le matin, on apprend le décès, la veille, du Roi Fahd Ibn Abdel Aziz. L’occasion pour Ould Taya de réchauffer des relations depuis longtemps tendues. Comme il avait fait avec le Maroc à la suite du décès de Hassan II, il va essayer d’aller faire preuve de solidarité et ouvrir une nouvelle page avec les dirigeants à venir.
Avant midi, les colonels Ould Abdel Aziz et Ould Ghazwani sont ensemble pour ne plus se quitter. La décision est prise de passer à l’acte pendant l’absence du Président Ould Taya.
Sur le déploiement des forces, les nombreuses discussions avaient presque tout scellé. Le mouvement doit s’appuyer sur le BASEP et sur le BB sur lequel le colonel Ghazwani exerce toujours une autorité. Il fallait identifier d’abord les officiers à embarquer dans le projet, ensuite fixer les rôles futurs et enfin identifier les poches probable de résistance et les neutraliser à temps.
Mais avant cela, il falait fixer la méthodologie et le projet à venir. Ce coup d’Etat devait rompre avec la tradition: pas de couvre-feu, les partis ne seront pas dissouts, la vie publique suivra son cours, aucun discours vindicatif ne sera de mise, même les marches populaires de soutien doivent être contenues dans un premier temps, et surtout aucune goutte de sang ne doit couler.
Les intentions devraient être annoncées très tôt: une transition, la plus courte possible; des concertations larges et ouvertes; réformes fondamentales de la Constitution de manière à assurer l’alternance (limitation des mandats et de l’âge); mise en place de structures assurant la régularité des scrutins à venir auxquels les membres de la junte et ceux du gouvernement ne pourront se présenter… Même si ces déclarations d’intention doivent être claires dès le début, il fallait d’abord libérer tous les prisonniers politiques et laisser s’émanciper toutes les expressions.
C’est à ce moment seulement qu’il va falloir penser à l’implication des autres. Les colonels Sidina Ould Yehye, El Arby Ould Jideyne (qui avait déjà menacé de démissionner) sont cités par les deux jeunes colonels amis. Mais c’est finalement le colonel Eli Ould Mohamed Val qui sera choisi pour être associé probablement pour diriger la junte. Tout porte à croire qu’il y verra l’opportunité de faire oublier 20 ans de gestion de l’Appareil policier d’un pouvoir qu’il sait à la limite de toutes ses possibilités. Mais comment l’aborder et que faut-il lui demander?
L’une des expéditions punitives contre les terroristes en terre malienne avait rapporté une cassette de l’attaque de Lemghayti. Le directeur général de la sûreté avait demandé au colonel Ould abdel Aziz copie de cette cassette qui était entre les mains des militaires du deuxième Bureau de l’Armée. C’était le moment de la lui donner et d’en profiter pour discuter avec lui. Ou il acceptait et on s’en tenait à agir dans la nuit de mardi à mercredi, sinon l’action devait suivre immédiatement l’entretien quitte à faire sans les autres.
Le colonel Ould Abdel Aziz lui fit un bref et clair exposé sur leurs intentions, détaillant leurs capacités et taisant l’absence d’autres officiers dans la démarche. Il se contentera de lui dire que “des officiers ont decidé…” et qu’ils lui proposaient de diriger la transition qui devait suivre. Il accpeta tout en demandant quel était son rôle dans l’accomplissement de l’acte. Son jeune cousin lui indiqua qu’il avait deux missions principales: impliquer les colonels Abderrahmane Ould Boubacar et Mohamed Ould Znagui commandant la sixième région militaire, mais seulement la veille et faire assurer la sécurité par la police le jour du coup d’Etat parce que l’Armée ne devait pas être exposée dans les rues comme par le passé. Vers minuit en ce lundi 1er août, l’accord était scellé non sans encombre. Le chef des renseignements voulait s’assurer qu’il ne s’agira pas d’une aventure qui allait fatalement tourner mal.
Dans la nuit de lundi à mardi, les deux colonels Ould Abdel Aziz et Ould Ghazwani explorent les lieux d’éventuels intervention: les domiciles des chefs militaires à neutraliser immédiatement: colonels El Arby Ould Jideyn, Aïnina Ould Eyih chef d’Etat Major de la Garde nationale, Sidi Ould Riha chef d’Etat Major de la Gendarmerie nationale, Sidi Mohamed Ould Vayda qui commandait le bataillon parachutiste et Cheikh Ould Chrouf à la tête du BCS chargé de la sécurité de l’Etat Major. Autres centres compris dans la reconnaissance: la radio, la télévision, le Génie militaire, l’artillerie…
Quand les deux homes s’assoupissent après la prière matinale, tout est fin prêt, toutes les actions sont définies et minutées. Il fallait attendre le résultat de la discussion entre les colonels Eli Ould Mohamed Val et Abderrahmane Ould Boubacar au cours du diner prévu chez le premier.
Dernières retouches au projet. La dénomination de la junte doit évoquer la justice et la démocratie (Comité militaire pour la justice et la démocratie); tous les commandants de régions doivent figurer dans la liste; faire attention aux dosages parce que toute la Mauritanie doit se sentir représentée. Problème: les purges opérées dans les années 90 ont vidé le commandement de l’Armée de l’élément négro-africain. On trouvera toujours…
22 heures mardi soir. Le colonel Ould Mohamed Val appelle: Ould Boubacar est avec lui et demande consigne. Il faut lui dire, tout comme à Ould Znagui que quelqu’un prendra contact avec eux. Un rendez-vous est immédiatement donné à Ould Boubacar. Les deux homes lui demandent d’abord d’entrer en contact avec le commandant du GR9 (le groupement de la Garde chargé d’assurer la sécurité des lieux publics et des responsables à Nouakchott), le colonel Yacoub Ould Amar Beytat pour l’associer au projet et lui faire jouer un rôle principal: celui de sécuriser au profit des putschistes les édifices publics et de faciliter le reste des actions. Le colonel Ould Boubacar devait ensuite, en tant que chef d’Etat Major adjoint se rendre à son bureau et assurer le commandement du quartier général des forces armées.
Le moment de l’action est arrivé. Direction : les officiers à neutraliser. Le premier à l’être est El Arby Ould Jideyn, chef d’Etat Major national. Il est cueilli dans sa maison. Surpris, il demande: “que se passé-t-il?” C’est Ould Abdel Aziz qui lui répond: “Elmesrahiya ouvaat” (la mascarade est finie). Et Ould Jideyn de répondre avec un sang-froid remarquable: “oui, je le savais”. Avant minuit, il était déjà confortablement installé dans l’une des villas du Palais du Congrès où il sera rejoint le même soir par Aïnina Ould Eyih, Sidi Mohamed Ould Vayda et Cheikh Oud Chrouf. Sidi Ould Riha résistera jusqu’au lendemain matin en se rendant lui-même à l’Etat Major de l’Armée.
Les arrestations sont opérées par une unité du BASEP sous le commandement des deux colonels Ould Abdel Aziz et Ould Ghazwani. La nuit ne sera pas longue et dès midi le lendemain, tout est sous contrôle.
Une réunion à quatre se tient à l’Etat Major: Eli Ould Mohamed Val, Abderrahmane Ould Boubacar, Mohamed Ould Abdel Azizi et Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed (Ould Ghazwani).
Le nom de la junte est déjà choisi: CMJD (comité militaire pour la justice et la démocratie).
Le débat est ouvert autour de la période de transition et de la composition du Comité et surtout de la disposition de ses membres. Les jeunes colonels imposent la date limite de la transition à 24 mois malgré quelques réticences, Ould Mohamed Val arguant que les réformes demandent plus de temps.
C’est ensuite la question de la disposition des membres du CMJD qui fait tiquer. Le colonel Ould Boubacar estime qu’il faut respecter la hiérarchie militaire, mais les jeunes pensent qu’elle a été suffisamment respectée avec la mise en avant des deux colonels Ould Mohamed Val et Ould Boubacar. Il n’est pas question pour eux de figurer sur les dernières lignes alors qu’ils sont les véritables auteurs du coup d’Etat. La liste est finalement établie et même les nouvelles attributions de chacun sont fixées. Eli sera Président du CMJD, Ould Boubacar chef d’Etat Major, Ould Ghazwani directeur general de la sûreté et Ould Abdel Aziz restera au BASEP.
La liste est confectionnée et les dosages respectés. La composition du groupe révèle l’ordre de préséance : après le président du CMJD et le chef d’Etat Major, ce sont les noms de Ould Abdel Aziz et de Ould Cheikh Mohamed Ahmed (Ghazwani) qui suivent, malgré l’ancienneté des autres. Tout est dit : les vrais auteurs du changement, les vrais maîtres du jeu ce sont ceux-là. Mais l’on va faire semblant.
Le communiqué final annonçant le changement peut être diffusé par l’AMI et les autres organes officiels pour permettre de mettre fin ainsi à al ruemeur d’un putsch manqué.
C’est au terme de la première réunion du CMJD que le choix du Premier ministre a été fait. Sidi Mohamed Ould Boubacar fut choisi pour son expérience et parce qu’il rassure l’opinion publique, n’ayant jamais été cité parmi les fossoyeurs de la République qui venait de s’effondrer allègrement.
Les premiers jours, Ould Abdel Aziz et Ould Ghazwani remarquèrent les hésitations du président qu’ils se sont choisis. C’est à ce moment que le colonel Ould Abdel Aziz décide de faire une sortie médiatique.
Dans une interview accordée à la Voix de l’Amérique, il fixe les règles du jeu: organisation d’élections dans les meilleures conditions, limitation d’une transition (24 mois voire moins), création d’une CENI, neutralité de l’administration, non éligibilité des membres de la junte et de leur gouvernement, réforme constitutionnelle assurant l’alternance avec notamment la limite d’âge et des mandats présidentiels à deux… Tout ce qui devait faire la “révolution CMJDénne” est contenu dans cette déclaration.
Les observateurs avertis comprennent alors le message : les vrais auteurs du coup ne sont pas ceux qui sont aux premières loges, ce ne sont pas les anciens du comité militaire de salut national (CMSN, au pouvoir jusqu’en 1992) qui semblent hésiter à prendre des engagements publics. La sortie de Ould Abdel Aziz est une assurance pour les jeunes colonels qui commençaient à soupçonner les risques de récuperation par plus anciens qu’eux du mouvement et de la transition.
L’offre novatrice de neutralité ne tient pas devant les manigances politiciennes. Très tôt les chefs militaires sont submergés par les demandes d’interférence, y compris des opposants emblématiques.
En juin 2006, la campagne pour le référendum constitutionnel est l’occasion pour les militaires de descendre dans l’arène politique. D’entretiens privés en discours publics, la volonté de dessiner le futur apparait. Quelques semaines plus tard, commencent les manœuvres pour créer le phénomène des indépendants. Partout, les candidatures indépendantes et des élus indépendants. En fait, des candidatures suscités par la présidence du CMJD qui y voyait, croyait-on à l’époque, une manière d’imploser le PRDS et donc le système politique ancien. On n’y décelait point de tentatives de compromettre le processus consensuel et la volonté d’intervenir pour se frayer une marge de manœuvre.
C’est bien sous l’inspiration directe du président du CMJD que le Rassemblement national des indépendants (RNI) va voir le jour. Dirigé par le ministre de l’intérieur de Ould Taya du 3 août 2005, le RNI prend la forme d’un embryon de parti dont la première mission sera d’apporter un soutien politique au candidat qu’on s’apprêtait à mettre sur scène : Sidi Ould Cheikh Abdallahi. C’est la présidentielle qui importe le plus et il fallait trouver un challenger à Ahmed Ould Daddah considéré, à tort ou à raison, comme le «mieux parti» mais aussi celui que l’on doit craindre le plus.
Dans l’édition du 8 novembre 2006 de La Tribune, nous écrivions : «Cela a commencé par des informations données par les notables que le président du CMJD, le colonel Eli Ould Mohamed Val a reçus récemment. Comme pour la première fois (législatives). Cette fois-ci, les ‘reçus’ sont plus formels et donnent des détails. Ils affirment que le président leur a tout simplement dit que le candidat le plus indiqué pour les militaires est Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Pour certains, le colonel fait une analyse qu’il conclut en disant : après mûre réflexion, nous pensons que le candidat Sidi Ould Cheikh Abdallahi est le seul qui puisse éviter le chao pour le pays. Face au président, ceux qui rapportent les propos prétendent souvent avoir développé une vision autre, sinon avoir posé des conditions. Notamment les moyens et le franc engagement des gouvernants. ”Nous ne voulons pas avoir la même expérience que par le passé. Quand le président nous avait demandé d’investir le champ ‘indépendant’ et qu’il a démenti peu après avoir jamais dit cela”C’était à la veille des élections législatives et municipales. On se souvient de l’emportement du président qui avait réitéré la volonté des autorités de s’abstenir de toute intervention dans le processus».
Samedi 27 janvier 2007, le 6ème Congrès des Maires se tient au Palais des Congrès. Dans une atmosphère particulièrement électrique. Compte-rendu de La Tribune du 29/1/2007 :
«Le colonel Ould Mohamed Val est-il candidat ? Est-il intéressé par une rallonge de la transition ? Soutient-il un candidat particulier ? Autant de questions qui rongent les esprits des Mauritaniens et qui empoisonnent l’espace public. Les rumeurs les plus folles se sont emparées du pays tout entier. Le silence des autorités, l’absence totale de communication, l’incapacité de l’entourage à tenir sa langue… tout a contribué à exacerber la rumeur».
La neutralité du CMJD en cause : "Beaucoup de choses ont été dites à ce sujet, certains ont cru que les affaires du pays doivent s'arrêter jusqu'à ce que la question soit tranchée, d'autres ont parlé de la question des compétences du Chef de l'Etat, des décisions qu'il prend, des nominations qu’il fait." La neutralité ne veut nullement dire le laisser-aller ou l'empêchement de la mission du CMJD et du gouvernement de transition et qu'il n'y a personne qui puisse dicter ses conditions, s'agissant de la gestion des affaires du pays. La scène politique, dans ce contexte précis "a connu plusieurs approches dont certaines ont brandi la menace de ne pas accepter ce qui est de nature à arrêter le processus démocratique de transition, s'adressant dans ce sens à l'autorité et se basant sur des rumeurs sans fondements. D'autres ont, par contre, et sans preuve aussi, avancé l'idée d'arrêter la période de transition, car s'acheminant vers ce qui ne leur plaît pas".
Le Colonel  Eli Ould Mohamed Val devait dire que ce qui se pose aujourd’hui, au peuple mauritanien, c'est de choisir un Président de la République et préciser à cet effet, que certains croient que cela doit se passer sur la base du calendrier définitif et des candidatures présentes, tandis que d'autres, se prononcent contre ce calendrier et les candidatures actuelles. La solution à cette question ne peut pas être envisagée à travers des ententes illicites avec les parties prenantes et/ou des décisions arbitraires, mais plutôt, en revenant à la Constitution.
Qu'est ce qu'on peut déduire de la constitution et des lois organiques pour répondre aux questions qui se posent aux mauritaniens? “Ce que je viens de vous dire, a indiqué le président du CMJD, est tout simplement la possibilité pour chacun de vous d'exprimer toute son opinion à travers une élection nationaleCela veut dire que la constitution de la République Islamique de Mauritanie adoptée avec un taux de participation de 76% et avec 96% de Oui et les lois organiques la complétant, reprennent les mêmes dispositions et disent que pour être élu, un président doit avoir au moins, la majorité absolue des voix exprimées et que les voix exprimées sont celles obtenues par tous les candidats ainsi que les votes blancs”.
Cela veut dire pour lui, que si par le jeu du vote blanc, vous ne désirez aucune de ces candidatures, ni au premier, ni au deuxième tour, vous pouvez les refuser par votre vote blanc. Pour être élu, a-t-il dit, le conseil constitutionnel doit constater que le président a eu la majorité absolue des votes exprimés ou qu'aucun des candidats n'a obtenu une majorité absolue. Dans ce cas, cela veut dire que c'est un vote de rejet. Et en ce moment là, a précisé le chef de l'Etat, le conseil constitutionnel ne peut constater l'élection d'un président. Si aucune majorité ne s'est dégagée, dira le président, en faveur d'un candidat, la conséquence est que le vote est validé, que le calendrier est respecté, que la constitution est respectée, que toutes les lois organiques de la République sont respectées et que le peuple mauritanien n'est pas intéressé par ceux qui se sont présentés devant lui, et demande à ce que d'autres choix se représentent, plus tard devant lui. En pratique, ajoute le chef de l'Etat, c'est tout simplement qu'aucun candidat n'a obtenu la majorité absolue et que personne ne peut être déclaré président de la République et qu'une nouvelle date pour une élection présidentielle devra être déterminée par le gouvernement. Et en ce moment là, a-t-il poursuivi, il se créera une situation juridique nouvelle par rapport à la première. Et les choix seront ouverts pour les mauritaniens qui auront à choisir plus tard de nouveau.
Ce qui est ressenti comme une tentative de coup d’Etat sur la transition est vite contesté. D’abord par les membres du CMJD. Le colonel Ould Abdel Aziz qui est toujours commandant du BASEP menace de «balayer la présidence». Missions de bons offices et conciliabules politiques qui aboutissent à une nouvelle déclaration de Ould Mohamed Val qui accepte de revenir sur ce qu’il a dit et de le renier clairement.
La suite, on la connait : le candidat des militaires devait l’emporter en mars 2007. Mais les prolongations d’un processus commencé le 3 août 2005 ne devaient pas s’arrêter à cette élection: de blocage en blocage, de manoeuvre en manoeuvre, la Mauritanie a traversé bien des périodes de perturbation qui ont parfois risqué de détruire le pays.
Le coup d’Etat du 6 août 2008 n’est qu’une étape de ce processus qui aurait dû stabiliser la démocratie mauritanienne, assurer la survie de l’Etat et réhabiliter les fondamentaux stratégiques d’un pays qui doit son existence à un positionnement et à une culture ancienne et authentique du dialogue. Mais l’élite politique persévère dans son refus de tirer les leçons du passé, de faire l’analyse froide du présent et d’anticiper l’avenir pour mieux le préparer.
Reste pour tous ceux qui ont dénoncé les arbitraires de l’époque noire, la mauvaise gestion de cette époque-là, les dérives de ses hommes, les excès de ses dirigeants, les mensonges de ses thuriféraires, reste pour eux de repenser le 3 août 2005 comme un moment de libération, comme un acte fondateur d’une Mauritanie nouvelle dont la construction demande du temps et du sacrifice.