Au
début des années soixante-dix, un cirque russe se produisit à Nouakchott. A
l’époque, toutes ces manifestations étaient partagées par le gouvernement. A la
fin du spectacle quelqu’un s’adressa au Président Moktar Ould Daddah pour
jauger son impression. Très philosophe, le Président lui dit : «Ce qui
m’a le plus captivé, c’est le funambule, celui qui marche sur une corde raide
en transportant une barre, qui avance un pied, puis un autre en donnant
l’impression qu’il allait à chaque fois basculer dans le vide. Et bien j’ai
fait un parallèle avec la Mauritanie. Elle ressemblera toujours à ce funambule.
Elle avancera tout en donnant l’impression qu’elle va faire une chute fatale,
puis au bout de quelques efforts qui peuvent semblent surhumains, elle avancera
un pied, puis un autre, et un autre… toujours dans une sorte de précarité
dangereuse…» Mais elle avancera… sommes-nous trop pressés ? la
Mauritanie est-elle trop lente dans son cheminement ? Les deux à la fois
certainement.
Nous
voulons tout avoir et immédiatement. Sans prix à payer, sans sacrifice à faire.
Nous voulons d’un pays égalitaire, citoyen, juste, prenant en charge
l’éducation de ses enfants, la santé de ses enfants, leur approvisionnement en
eau et en énergie, leur assurant la sécurité et la prospérité. Immédiatement.
Mais
que faisons-nous pour que le pays dont nous attendons tout, soit capable de
nous offrir le cadre qu’il nous faut ? Nous refusons de respecter
l’ordre : du simple code de la route à la Constitution, en passant par les
lois et règlements qui régissent notre vie en commun et par le rang qui assure
«premier venu, premier servi». Nous bafouons toutes les règles et nous
prenons plaisir à le faire.
Nous
refusons de croire à la possibilité d’avoir un cadre d’évolution qui sied pour
tous. De nous regarder humblement et de traiter nos affaires entre nous. Nous
refusons de compter les uns avec les autres. Nous refusons les échanges, le
partage, la solidarité…
Quand
le Président John F. Kennedy a voulu galvaniser les énergies de la jeunesse
américaine au début des années soixante et changer la vision que ses
compatriotes avaient d’eux-mêmes et qu’ils avaient du monde, il a dit : «Vous
qui, comme moi, êtes Américains, ne vous demandez pas ce que votre pays
peut faire pour vous, mais demandez-vous
ce que vous pouvez faire pour votre pays. Vous qui, comme moi, êtes citoyens du
monde, ne vous demandez pas ce que les Etats-Unis peuvent faire pour le monde,
mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour le monde»
Le
pays est lent, ou semble l’être, dans son évolution. Pourtant quand on regarde
le chemin parcouru depuis 65 années, on est en droit de juger que nous sommes
loin, et même très loin de notre point de départ.
N’oublions
jamais que nous sommes partis d’une société fortement hiérarchisée,
profondément inégalitaire, où la force faisait loi, où la naissance déterminait
le destin, où les rapports étaient ceux de maitres à subordonnés, où la liberté
de s’exprimer était l’apanage des plus nantis, où les possibilités de
s’émanciper étaient inexistantes…
N’oublions
jamais que le pire ennemi de l’Etat à construire dans les années 60 fut son
élite et son incroyance à cette possibilité de voir naitre et se développer un
Etat moderne. Les uns ont fui sa création vers les pays voisins qui
revendiquaient le territoire, les autres ont mobilisé les forces
traditionnelles pour contrecarrer le processus d’indépendance. En 1960, peu de
gens, instruits ou non, croyaient en la Mauritanie. Ce n’est plus le cas
aujourd’hui.
La
Mauritanie est un Etat reconnu sur le plan international. Un Etat qui offre un
cadre d’émancipation et d’égalité, certes à parfaire, mais qui est là quand
même. Un Etat qui a ses problèmes mais auxquels il cherche par lui-même à
apporter les solutions adéquates. Il peut tergiverser, il peut balancer, il
peut donner l’impression de basculer d’un côté ou de l’autre, il peut ne pas
satisfaire tous les besoins de tous ses fils, mais c’est un pays qui existe et
qui donne le mieux de lui-même. Encore cette question : qu’avez-vous fait
pour ce pays pour lui demander tant ?
Le
processus de dialogue (qui semble faire du surplace) est certainement
aujourd’hui l’occasion pour tous les acteurs qui prétendent à vouloir le bien
commun, de se rattraper. Il s’agira de converger vers une forme d’entente à
même de renforcer la démocratie par le développement de ses outils, pour
assurer la stabilité du pays et son développement. Dans un premier temps, ce
qui est demandé aux politiques, c’est de trouver un terrain d’entente pour
restaurer la confiance et repenser l’avenir. Puis, dans une seconde phase, de
travailler pour les refondations nécessaires. Partir d’un vrai contrat social à
même de prendre en charge les soucis majeurs de la Nation, d’en dessiner les
contours pour sa mise en œuvre qui demandera du temps.