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jeudi 28 mai 2015

Un jour (de) chez moi

Je suis à Mederdra aujourd’hui pour assister à une cérémonie organisée par une partie de ma famille. Je retrouve quelques senteurs que mon odorat pollué avait perdues. Je retrouve aussi quelques vieilles amitiés, de vieilles connaissances, des femmes et des hommes qui m’avaient vu grandir avant de me perdre de vue puis de me retrouver aujourd’hui, vieux comme je suis.
J’ai l’impression que toutes et tous ceux qui m’ont vu naitre parmi ces gens-là, me traitent comme s’il s’agissait de l’enfant de toujours. Une manière peut-être de (se) refuser de grandir : si le vieux qui est là est l’enfant d’antan, cela veut dire ce que cela veut dire.
Parmi eux ceux qui n’ont pas changé ou presque, gardant les mêmes traits de visage, les mêmes rides que je leur connaissais à l’époque de la tendre enfance, les mêmes réflexions, les mêmes attitudes…
Meryem est la première à me parler des «préparatifs pour accueillir le Président qui arrive dans les jours qui viennent». Elle me demande si elle peut le rencontrer pour lui dire ceci : «Avant, nous avions un préfet qui partageait déjà très mal ce qui arrivait ici comme aides, aujourd’hui nous en avons trois en plus de leur adjoint. Du coup on ne reçoit plus rien de ce qui nous est envoyé…» Une manière de désapprouver la nouvelle nomenclature de l’administration qui crée des postes d’adjoints au préfet, de directeur de cabinet…
Mais là où Meryem semble le plus irritée, c’est quand elle parle de «ces réunions organisations sur initiative des élus et fils du département pour mobiliser les populations». Pour se demander : «Pourquoi ces cadres ne viennent pas se réunir ici ? Nous sommes les populations à mobiliser et la ville se trouve à 150 kilomètres de Nouakchott, pourquoi rester là-bas ?»
En fait, les «cadres» craignent probablement de devoir redistribuer ce qu’ils ont comme fortune. Ils craignent encore de se donner en spectacle en arrivant chez des populations qu’ils ne connaissent que lorsqu’une échéance politique approche. Comment reprendre de la forme devant des gens qu’on a été incapable de satisfaire ? des gens qui ont entendu toute sorte de promesses jamais tenues, d’explications toujours fausses ? Pour Meryem les raisons de la tenue de telles manifestations ailleurs, «c’est bien parce que le menteur a intérêt à éloigner les témoins et nous sommes des témoins gênants». Et d’enchainer sur «le temps des grands»…
«Nous sommes orphelins d’un temps que tu as connu très jeune, celui des hommes dignes et des belles femmes, celui de la générosité et du faste, celui de la vérité et de la baraka…» Ici je me rendis compte qu’elle et moi nous n’avions pas les mêmes raisons de regretter (de pleurer dans son cas) ce temps-là.
Le monde de Meryem était fait d’injustices et d’inégalités. Il couvait cependant en son sein une charge d’aspiration au changement, à plus d’égalité, à la citoyenneté. Il permettait à des jeunes, nourris aux valeurs de l’Etat moderne, de se rebeller et de dénoncer les carcans de l’ordre ancien. Si je peux regretter ce temps qui avait pour moi une saveur particulière, celle des espérances, il ne devait pas en être de même pour mon interlocutrice qui vivait les conditions difficiles de la servitude. Mais le syndrome du Paradis perdu est toujours là.