Le
concept est inconnu du large public. Surtout en Mauritanie où c’est seulement
la deuxième édition de cette manifestation. Il s’agit d’une sorte de meeting
qui voit l’intervention de gens qui ont «quelque chose à dire» ou, pour
utiliser les termes consacrés, «des idées qui valent la peine d’être
diffusées» (Ideas worth spreading). L’objectif étant d’«oser repenser»
le monde à travers l’exposition d’expériences personnelles, de points de vue,
de visions, de philosophies…
Créé
par la Fondation Sapling foundation, le concept présente des conférences sur
des thèmes variés avec des personnalités parfois inattendues, parfois connues,
mais toutes ayant une capacité à bien présenter et à convaincre. L’objectif
étant d’amener l’auditeur à «oser repenser» sa vie.
Pour
sa deuxième édition, les promoteurs de l’idée – Mohamed Ali Bediyouh qui
l’avait déjà organisée à Casablanca, Mohamed Salem Ould Ahmed Saleh
l’informaticien de génie, Yousra Chérif et tous ces jeunes qui cherchent à se
libérer et à libérer leurs compatriotes des contingences et pesanteurs de
l’immobilisme -, les promoteurs ont choisi de multiplier les intervenants et
les thèmes.
La
protection du consommateur et l’expérience d’une association locale avec ce
constat inquiétant : plein de produits périmés, de produits exposés sur le
marché dans de mauvaises conditions, aux côtés de poisons, sous le soleil ;
pas assez de contrôle et peu de réactivité des citoyens.
Puis
l’expérience d’une tentative réussie de faire d’un produit local, jusque-là
méprisé en tout cas classé dans la sphère de «l’inutile» parles
Mauritaniens d’aujourd’hui, d’en faire une denrée précieuse dont les multiples
dérivés servent dans différents aspects de la vie. Il s’agit de Toogga,
ce fruit sauvage qui est destiné à être l’Argan de nos latitudes.
Mohamed
Baba Said, l’un des promoteurs du projet, explique (très bien) le processus qui
a vu naitre le projet, ses retombées sur le pays, les structures déjà mises en
place pour sa mise en œuvre… Nous savons désormais qu’il faut 20 kilogrammes de
fruits pour avoir un litre d’huile et que la capacité de la petite structure
déjà fonctionnelle à Nouakchott est de 200 litres par an. On apprend aussi qu’il
n’y a pas de déchets dans le processus de transformation parce que tout, dans
le fruit, est utilisable. «Toogga emnav’ayn», disent les Hassanophones
pour dire la multitude des services que ce fruit rend à celui qui sait s’en
servir.
L’Ambassadeur
des Etats Unis d’Amérique, Larry André devait lui intervenir sur le thème «l’objectivité,
idéal impossible». Très pédagogue – très philosophe aussi -, l’Ambassadeur
Larry André a mis à profit sa grande expérience pour inculquer la notion de
relativité surtout quand il s’agit de la recherche de l’objectivité. Concertation
(consultation) autour d’une question (avec tous les protagonistes), la compréhension
de tous ses paramètres, la confiance en l’intuition, la sincérité et l’honnêteté
dans le jugement à faire… sont autant de valeurs qui assurent une meilleure
appréciation de la problématique et d’en avoir un regard plus objectif, en tout
cas plus équitable. Assez pour avoir le meilleur angle d’attaque, décider et
agir dans les temps utiles (il ne faut jamais laisser le temps passer dans les
hésitations et le refus d’y aller).
Le
point d’orgue de la soirée est sans doute ce monument qu’est Jean Sahuc, un
ingénieur qui a débarqué en Mauritanie en 1954 et qui ne l’a plus quittée. Un témoin
et un acteur de la construction de la capitale Nouakchott, de projets de routes
et même du chemin de fer reliant Zouérate à Nouadhibou. Il faut l’écouter pour
se rendre compte d’où nous venons et qu’est-ce que nous avons fait de
nous-mêmes et de notre pays. «Repenser la Mauritanie», refonder les
vocations premières, réinventer les objectifs premiers… Oser le faire…
Le
féminisme a son mot avec Nejwa Kettab qui partage une profonde réflexion sur «le
féminisme face à la norme sociale». Du concept de «carrière matrimoniale»
pour désigner cette vocation à multiplier les mariages chez nos femmes, à l’illusion
de l’émancipation consacrée par un rôle de premier plan accordé à la femme
alors qu’il découle d’un mépris évident. Tout le cheminement mène à une vision
machiste et parfois misogyne.
Pr
Dia Al Housseinou, psychiatre «au pays des marabouts» parlera longuement
(et efficacement) des interférences entre les thérapies traditionnelles et
celles modernes, de cette tendance des Mauritaniens à toujours chercher à jouer
sur deux tableaux : la Modernité et le Conservatisme. La schizophrénie
commence ici (le constat n’est pas du Pr Dia).
Sidi
Ould Sweyne’, jeune professeur à l’école des ingénieurs, grand connaisseur du
Japon devait présenter un concept : IKI. C’est un concept né au Japon pour
traduire la nécessité de trouver un symbole national à même d’imposer une
identité à tout citoyen japonais. Cette recherche de l’identité a été l’élément
moteur du décollage du Japon. Ould Sweyne’ propose un système éducatif sur la
recherche d’un identifiant national (IKI), le développement de l’innovation et
la motivation. En somme, la promotion de l’intelligence créative et innovante
et la règle du mérite.
On
finira la soirée par des propositions : «repenser l’écologie», et
même «repenser la poésie»… Autant dire que l’objectif de «la bande à
Bediyouh» - la sympathie qu’ils suscitent m’autorise à les appeler de la
sorte – est largement atteint. Une manière de rappeler aux plus sceptiques d’entre
nous qu’il existe une Mauritanie dynamique et entreprenante. A travers les
jeunes de TEDx Nouakchott, ceux de Startup-Mauritanie, ceux de WikiStage-Nouakchott
et bien d’autres, nous comprenons que la Mauritanie n’est pas seulement ce
foisonnement d’oiseaux de mauvaise augure, d’intellectuels archaïques et
conservateurs, de jeunes mal formés et sans éducation… que dans cette
Mauritanie subsiste une frange de jeunes qui sont le vrai espoir de demain. Heureusement.