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samedi 16 mai 2015

Blues et spleen, l’artiste est mort

B.B. King est mort à l’âge de 89 ans. Riley B. King, de son vrai nom a régné en maitre absolu sur la scène musicale depuis la fin des années 40. Il est resté le Roi du Blues. Incontesté, incontestable.
A la fin des années 70, le jeune lycéen que j’étais découvrait le blues comme genre de musique en même temps qu’il récitait Baudelaire et qu’il s’émerveillait devant les sonnets décrivant cet «esprit gémissant en proie aux longs ennuis», tanguant entre Spleen et Idéal. Une tragédie intime qui nous initiait à l’humaine condition en nous proposant de partager la douleur exprimée de la plus belle des manières : l’art poétique.
Quelqu’un nous offrait une vieille cassette de variétés américaines. Il y avait là notamment une interview de Marvin Gaye sur Motown, la célèbre maison de disques américaine. Il y avait aussi une ou deux chansons d’Aretha Franklin, d’Etta James, de James Brown qui nous était beaucoup plus connu et de B.B. King dont on n’avait jamais entendu parler.
Nous étions une bande de copains d’études que tout art émerveillait. On baignait encore dans une adolescence qui nous empêchait d’entrer carrément dans le cycle de la maturité. La musique, la poésie, la lecture, le théâtre étaient pour nous, plus que des moyens d’évasion, des armes de résistance. Résistance à la langueur qui commençait déjà à déployer sa chape. Résistance au reflux des idéaux humanistes qui s’annonçait déjà. Résistance à l’obscurantisme qui s’exprimait déjà dans les velléités à vouloir imposer à tous SA VERITE. Résistance à l’ennui qui détruisait toute volonté de se libérer des pesanteurs sociales, de s’émanciper des carcans iniques.
On apprenait que cette musique qui a donné le Jazz et même le rock’n’ roll, que le blues, contraction de blue devils (diables bleus) était né de la souffrance des noirs aux Etats-Unis d’Amérique. Qu’il avait quelques enracinements profonds en Afrique. On commençait à lui trouver des parentés avec le k’haal karr de la musique Bidhâne. Et quand on revenait aux gospels, à ce qu’ils comportent  d’inspirations religieuses, on rappelait dans nos discussions que le k’haal karr est consacré aux panégyriques dédiés à la gloire du Prophète Mohammad (PSL). Qu’en général, les mots sont composés de telle manière à exprimer en même temps la vanité de la condition humaine, le regret de ne pas avoir vécu en ces temps de sublimation où le Prophète (PSL) existait, la misère de la vie ici bas… Ecouter le k’haal karr vous procure une peine intense, c’est un peu «avoir le blues». Ce n’est pas par hasard que le medih (louanges au Prophète, PSL) soit devenu l’art de prédilection de la communauté haratine. Comme les gospels, il redonnait espoir face au dur labeur quotidien.
Nous apprenons que  comme beaucoup de nos artistes musiciens, B.B. King avait donné un nom à sa guitare qu’il appelait Lucille, un nom et une histoire. En 1949, l’artiste naissant se produisait dans un bar quand une bagarre éclate entre deux hommes. La bagarre est si forte qu’un incendie éclate. Dans la précipitation, B.B. King fuit comme tous les autres le lieu en feu. Il se rend compte qu’il a oublié sa guitare qui est sa raison de vivre. Il défie alors les flammes qui détruisent tout et réussit à sauver le plus cher des objets pour lui. Quand il apprend que la bagarre a été provoquée par un sentiment de jalousie autour d’une femme nommée Lucille, il décide de donner le nom à la chose qu’il aime le plus : sa guitare.
Le «Blues boy» vient de nous quitter. Il restera parmi nous, tant qu’on soufflera les airs : The thrill has gone, Everyday I have the blues, Rock me baby, Sweet sixteen ou Lucille.
Les 17 Grammy Award qu’il a obtenus en font certes l’artiste le plus distingué de tous les temps, mais ils ne récompensent pas l’immense talent de B.B. King. Adieu l’artiste !