C’est
une discussion provoquée par un ami qui interpellait l’un de nos médecins de
retour d’un stage à Dakar. «Mon frère, dis-moi quelles différences as-tu
perçues entre la médecine exercée en Mauritanie et celle exercée au
Sénégal ?»
Le
médecin regardé longtemps son interlocuteur avant de lui répondre : «La
différence à mon avis ne se situe pas au niveau de la pratique médicale encore
moins du niveau des praticiens, pas non plus de la qualité des services… La
différence fondamentale vient des malades eux-mêmes». Et d’expliquer :
«A son arrivée, le malade mauritanien est déjà sous pression psychologique
de ses accompagnants. Par leur comportement, ils le convainquent qu’il arrive à
terme du processus qui le mène à la mort fatalement. Ils ne s’arrêtent pas à ce
niveau.
Quand
je commence à l’ausculter, il se trouvera toujours quelqu’un qui va souffler
que je tiens mal les instruments. Quand je le couche sur l’un des côtés pour
avoir une meilleure vision, quelqu’un dira que j’ai aggravé sa situation.
Lorsque je prescris un premier traitement en attendant les analyses, un autre
dira toujours que ce médicament est pourri avant de conclure que le docteur
lui-même ne sait rien faire…»
La
suite nous la connaissons. Il faut courir chercher un parent, même s’il s’agit
d’un infirmier. Avant de demander que le malade soit évacué, si bien sûr ses
parents ont la possibilité de prétendre à un tel luxe.
En
fait, cette attitude de défiance n’est pas seulement causée par l’exercice de
nos praticiens qui a fait perdre aux usagers la confiance dans notre système
sanitaire. Elle vient aussi de cette tendance à croire que tout ce qui vient de
nous est moins que rien. Si bien que les phrases la plus partagées dans nos
milieux, des plus simples aux plus complexes, de l’élite à la masse, c’est bien
celle-là : «Ce pays est maudit. On ne peut rien en attendre.
Tfou !...»
Tout
ce qui indique la méprise. De là à la haine, il n’y a qu’un pas qui est
allègrement franchi par beaucoup d’entre nous.
La
médiocratie – l’ensemble du personnel administratif et politique – qui a fait
main basse sur le pays, non pas par le mérite mais par l’exercice politicien
(et mafieux) des affaires publiques, veut bien nous faire croire que tous se
valent, tous se ressemblent.
Les
nouveaux moyens de communication sociaux sont venus s’offrir aux plus
entreprenants pour imposer cette sinistrose qui règne désormais sur nous.
On
en oublie que les marchands de malheur ne peuvent être des promoteurs de futurs
meilleurs. Ceux qui nous désespèrent du présent nous installent dans une
attitude définitivement craintive de l’avenir. Rien ne peut plus nous faire
espérer en un avenir meilleur à force d’entendre ces discours nous annonçant
l’apocalypse imminente (guerre civile, effondrement de l’Etat…).
Heureusement
que nous résistons encore à cette noirceur qui veut, tel un linceul, nous ensevelir
inexorablement. Heureusement que nous comprenons que c’est une manière
d’excuser le manque de perspective chez ceux qui ont fait du mauvais présage
une arme pour se faire une place. Dépeindre en noir notre situation, nous
désespérer de ce que nous sommes, c’est nous obliger à croire que tout ce qui
peut advenir est mieux pour nous. Et, plus grave, que tout ce qui est advenu
était meilleur. Annihiler le passé, assassiner le futur, en noircissant le
présent.