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mardi 21 avril 2015

La tribu dans tous états

On nous dira encore que c’est ainsi, que la tribu est une réalité sociologique et politique avec laquelle il faut composer. On nous dira que notre peuple, que nos peuples sont ainsi faits et qu’il faut s’y résigner.
Ma petite expérience qui reste celle de la génération qui est la mienne m’apprend qu’il n’en est rien. J’ai connu un monde où la tribu comptait peu. Savoir qui vous êtes pour vous ficher tribalement équivalait à une sorte de délit qui vous marquait à jamais du qualificatif de rétrograde, arriéré, féodal… C’est ainsi qu’on était des bandes d’enfants que seules les affinités personnelles pouvaient nous rapprochaient. On était ensemble parce qu’on habitait le même quartier, on fréquentait les mêmes écoles, on logeait dans le même internat, on militait dans le même mouvement… pas parce qu’on est cousin ou de la même région.
Les mouvements politiques qui animaient la vie clandestine se battaient tous contre le tribalisme. L’Etat en faisait l’ennemi de la construction nationale. Et toute al littérature populaire et élitiste vilipendait la tribu et le sentiment tribal.
J’ai connu des ressortissants d’Aïoun, de Néma, de Kiffa, de Kaédi, de Zouérate, d’Atar, de Rosso, d’Aleg, de Tijikja, de Sélibaby, Akjoujt et Nouadhibou, de toutes ces régions nous arrivaient à Nouakchott des jeunes comme nous détribalisés, libérés des pesanteurs sociales et assoiffés de citoyenneté et de Mauritanie. Il y a des villes où la lutte politique a été plus marquante que les autres. Aïoun, Kiffa, Zouérate, Atar, Rosso et Tijikja ont vu naitre les mouvements nationalistes, les mouvements unitaires. Ces villes ont été le théâtre de grèves historiques, de rebellions estudiantines et ouvrières. Elles ont donné des héros de l’époque de la lutte contre le néocolonialisme et pour la consolidation de l’indépendance. Qu’en reste-t-il ?
Ces images à Kiffa, capitale du mouvement de gauche marxisant des années 60 et 70. Des chefs de tribus qui imposent leur logique ou qui tentent de le faire quitte à provoquer des affrontements publics. Des responsables qui en viennent aux mains après avoir épuisé toute la rhétorique de la violence verbale. Un chaos général provoqué par le refus de chacun de se conformer à l’ordre, de se plier à la discipline, de laisse passer son voisin élu et/ou haut responsable, parce que son positionnement social ne le permet pas…
Il ne reste rien de cette culture politique qui a fait les heures de gloire d’une Mauritanie aspirant à édifier la notion de citoyenneté, à promouvoir l’égalité de ses citoyens, à assurer la justice entre eux…
Quand les uns dénoncent la couverture réservée par les médias publics à la visite présidentielle, il faut bien que tous nous dénoncions la couverture tribalisée réservée par les médias privées à ces visite. Si la HAPA a, de temps en temps, haussé le ton pour mettre en garde contre les dérapages qui divisent, elle devait sévir contre cette tendance à mettre en valeur telle ou telle tribu dans des médias qui finissent ainsi par cultiver la division et la haine. Rien n’est plus dangereux que la culture tribale, que la logique tribale, que l’engagement politique au nom de la tribu. C’est cela qui menace la communauté nationale, c’est cela qu’il faut combattre avec énergie.