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mercredi 11 février 2015

Les journalistes ne sont pas intouchables

Les récents événements font revenir à la surface toutes ces questions liées à la liberté d’expression et à l’exercice du métier de journaliste. L’occasion de rappeler que personne n’est au-dessus de la loi. Mais aussi de discuter certaines démarches judiciaires et policières qui nous reviennent d’un temps que l’on croyait révolu.
Une procédure judiciaire est engagée contre Ahmedou Wedi’a du site Essirage. Elle fait suite à la publication par le site de notre confrère d’une enquête sur l’affaire Maurisbank. Le Procureur de République qui a engagé la procédure, reproche «un viol du secret de l’instruction». Alors que rapporter la substance des procès-verbaux n’équivaut pas à leur publication et n’a jamais été objet d’une poursuite judiciaire en Mauritanie.
La logique voudrait que le Procureur diligente une enquête pour savoir d’où vient la fuite, mais pas la poursuite du journaliste ou de l’organe de presse qui l’a exploitée. Depuis toujours, l’actuel Procureur le sait bien, les procédures judiciaires ont toujours souffert de ces fuites, parfois sciemment organisées pour accabler les prévenus dans une affaire.
On se souvient encore de ces scoops distillés à la suite d’emprisonnements arbitraires politiques et autres. Les renseignements livraient alors en pâture les victimes à travers la publication de leurs procès-verbaux par voie de presse. Toujours les mêmes journaux qui, selon les périodes, avaient vocation de prêter main forte aux bourreaux. On s’en souviendra tant qu’on verra les auteurs de ces lynchages occuper la scène et essayer de faire revivre le passé honni.
On sait tous, y compris au Parquet, que la fuite des dossiers d’instruction sert parfois l’Autorité judiciaire, parfois la défense et qu’elle est devenue de ce fait un outil, une arme. D’autant plus que l’existence d’une presse libre permet justement d’exploiter ces documents parfois les éclairant mieux, toujours pour les faire connaitre au grand public. Les fuites n’ont plus dérangé depuis très longtemps. Alors pourquoi maintenant ?
Il y a quelques jours la presse a joué un grand rôle dans la mise à nu des dysfonctionnements de l’Appareil dans l’affaire des Salafistes et du scandale qui s’en est suivi. Le nouveau rebondissement – la poursuite de l’un des journalistes les plus connus et les plus engagés de la scène – peut-il faire oublier le revers ?
Peu importe la réponse. Peu importe les raisons. Le Parquet a d’autres chantiers, plus porteurs, plus urgents que celui de redresser les torts de la presse, surtout que le tort qu’il a choisi de réprimer n’est pas le plus grave. Pourquoi le silence face aux appels à la haine, au racisme, au tribalisme, au déni de l’Etat, aux appels aux coups d’Etat, à l’insurrection… ? Tout ça concerne le Parquet… tout ça menace vraiment le pays et la démocratie…
Nous savons quant à nous que les journalistes ont beaucoup à apprendre sur les limites de la liberté d’expression, sur leurs droits et leurs devoirs. Même si, comme la plupart des Mauritaniens, y compris le Parquet qui retient en captivité des gens dont la peine a expiré, les journalistes ignorent souvent que la loi limite et réprime la liberté de savoir et de publier.
Ce n’est pas parce qu’on est journaliste qu’on a le droit d’enregistrer les autres, de les photographier à leur insu. Ce n’est pas l’exercice du journalisme qui nous donne le droit d’affabuler, de vilipender, d’offenser, de racketter, d’exercer un chantage continuel pour bénéficier de privilèges indus…
La tendance des syndicats de presse est de s’accommoder de toutes les dérives et d’apporter un soutien aveugle à tout journaliste mis en cause. Inique attitude quand on voit, qu’on lit et qu’on entend tout ce que les organes de presse colportent de rumeurs avérées et d’intoxications. Un corporatisme irraisonné qui fait oublier l’essentiel : moraliser et assainir l’espace médiatique.