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samedi 7 février 2015

Peur sur l’Ouest africain

La recrudescence des actions militaires de la secte Boko Haram oblige les Etats de la région à mettre en œuvre une stratégie commune d’endiguement voire de destruction de cette organisation. Si le Tchad envoie ses troupes au Cameroun et au Nigéria, c’est bien parce qu’il voit la menace que fait peser sur son existence le développement de Boko Haram. Alors il faut contenir cette secte dans ses frontières et ses dimensions actuelles et chercher ensuite à l’étouffer.
Mais le Tchad prend beaucoup de risques en s’engageant de la sorte. En effet le pays se trouve pris entre trois foyers de tension : cette menace du Sud qui vient de Boko Haram, celle du Nord qui vient de la Libye et celle de l’Ouest (Nord-Ouest) qui vient de l’espace saharien, à travers le Niger à partir du Mali. Ces trois foyers cherchent fatalement à faire jonction pour plonger la région ouest-africaine dans un chaos similaire à celui qui prévaut actuellement au Moyen-Orient. Dans un deuxième temps, la jonction avec les Shebabs somaliens et les ilots d’instabilité en Centrafrique, permettra de créer cet arc de feu qui pèsera alors sur le devenir du Monde. Par les menaces directes sur les théâtres européens, sur les mers et océans de la région, sur les gisements de pétrole et d’autres minerais précieux…
Si l’un des pays - le Tchad ou le Niger - s’écroule, c’est toute la région qui sera mise à feu et à sang. Les stratèges le savent, mais ils sont de moins en moins entendus. On leur préfère les quelques «spécialistes de la question du terrorisme» constamment sollicités par les médias. Ceux-là s’en tiennent à des considérations qui ne sont plus à l’ordre du jour. En effet, comment continuer à voir dans la menace Da’esh, le seul aspect danger pour l’Europe ?
Da’esh, comme nous le disions dans un posting précédent, articule sa stratégie autour de la terreur et du chaos. Nous voyons comment elle a fait en Irak et en Syrie, mais aussi en Libye où tout se passe plus ou moins dans le noir. On assiste, depuis peu, à un début d’activité en Egypte, notamment dans le Sinaï. Un premier groupe a fait allégeance à Da’esh depuis l’Algérie. Un autre a été démantelé au Maroc.
Cette phase de constitution se manifeste par des actions d’éclat dont l’objectif est de déstabiliser les régimes en place, de les amener à réagir violemment et probablement aveuglément. Ce qui est recherché ici, c’est l’allégeance des populations.
En Irak, en Syrie et dans toute cette région, Da’esh a trouvé dans les conflits religieux un argument séduisant qui en fait le protecteur des Sunnites face à la menace des Chiites et des minorités religieuses, nombreuses dans la région.
Dans l’affaire du pilote jordanien, les médias nous ont peu renseignés sur ces populations qui ont refusé de s’associer à la douleur officielle : dans certaines villes de Jordanie, il n’y a pas eu de prière de l’absent et on a même hissé le drapeau de l’organisation jihadiste. On occulte aussi les complicités dont les terroristes bénéficient au Sinaï et dans d’autres pays. Pour éviter de donner un ancrage populaire à cette organisation.
Faire la jonction entre les théâtres libyen, malien et nigérian participerait à diminuer la pression exercée actuellement sur Da’esh par la coalition internationale dirigée par les Américains en Irak et au Levant. Elle élargirait le champ du chaos et donnerait des chances d’exister à un Khalifa islamique nouveau.
La coalition internationale, réunie à la hâte sous la houlette de Washington, a opté pour la force. Détruire l’organisation en ciblant ses hommes et sa logistique. A terme, cette stratégie ne peut être efficace. C’est la guerre contre Al Qaeda qui a donné Da’esh et ses avatars. Les frappes malheureuses ont occasionné des dommages collatéraux énormes, ajoutant aux frustrations existantes, ravivant les haines vis-à-vis d’un Occident oppresseur et boulimique (de pouvoirs et de richesses).
Il est peut-être temps de se reprendre pour engager de nouvelles approches dans chaque pays (ou dans chaque espace culturel). Il est temps de comprendre que si, pour l’Occident, extirper le Mal par l’exercice de la violence aveugle (parce que totale) est possible, pour les pays musulmans et leurs sociétés, le Mal doit être contenu, couvé pour être combattu efficacement. Bien sûr que cela nécessite des politiques de développement économique, social et politique. Cela nécessite surtout un engagement réel des institutions religieuses et de la société civile, une mise à contribution de ces institutions et des acteurs sociaux pour faire la promotion de relectures du fonds religieux dans lequel puisent les promoteurs de cette violence pour légitimer leurs actes.
Il faut domestiquer la violence et les relents de violences, pas les provoquer et les nourrir. Dans notre espace sahélo-saharien (ou nord-ouest africain pour être plus complet), nous craignons le pire pour nos Etats, nos sociétés, nos fondements culturels et religieux. Ce n’est pas la guerre à elle seule qui peut arriver à bout de la menace. Seule l’éducation peut renverser cette tendance de faire de la violence la seule arme qui vaille face à l’Autre. Revisiter les textes, engager les exégètes modérés, faire la promotion des valeurs universelles qui sont aussi celles de l’Islam (notamment en matière de respect de la vie), aller sur le terrain apporter la contradiction à ceux qui embrigadent les esprits affaiblis… En même temps apporter des réponses et des solutions aux problèmes posés aux populations, combattre les inégalités, la pauvreté endémique, l’injustice… libérer les énergies, la parole, les actes… protéger les plus démunis, les assister, prendre en charge leurs préoccupations…
Démocratie et développement comme cadre général. L’éducation comme outil principal.