L’année se
termine avec deux procès dont on aurait pu se passer. Mais l’excès aura eu
raison de l’atmosphère qui avait régné jusque-là. Une atmosphère caractérisée
par la libération de la parole. Au point de voir se succéder manifestations et
déclarations à longueur de journée dans Nouakchott et parfois à l’intérieur. Le
mouvement revendicatif s’est soudainement réveillé pour prendre une ampleur
nouvelle en Mauritanie. Par sa forme et dans son contenu.
Longtemps
la revendication a épousé les contours des corporations (syndicats, partis et
groupes politiques). Elle a, avec la gouvernance PRDS (parti au pouvoir entre
1991 et 2005), pris les contours de la tribu et de la région. Puis elle a été, ces
dernières années, été réduite à une expression sectaire. Répondant ainsi à
l’échec des regroupements qui n’ont pas pu – ou su – prendre en charge
frustrations et exigences des uns et des autres.
Des snipers
politiques ont alors trouvé une voie de placement, alors qu’ils avaient plus ou
moins échoué dans la lutte de classement qui est réellement le moteur politique
faisant déplacer les acteurs d’un point à un autre. Du coup, la classe politique
traditionnelle s’est retrouvée dépassée par le mouvement qui est cependant
resté superficiel.
Nous
retiendrons en effet que le foisonnement politique en Mauritanie n’a pas fait
bouger les lignes de démarcation fondamentales, comme il n’a pas pu faire la
synthèse du processus d’évolution que nous avons connu depuis novembre 1946,
date de la première élection du pays qui correspondait alors à un espace. Ces
lignes de démarcation entre un Monde qui doit disparaitre (et avec lui ses
stratifications, ses injustices, ses éparpillements, ses arriérations…) et un
Monde qui est né de circonstances multiples dont la colonisation avec son
corollaire qui est la naissance de l’Etat moderne dont la base est la
renonciation volontaire aux différences qui régissaient et leur remplacement
par le statut de la citoyenneté (donc de l’égalité, de l’équité, de la justice,
de la solidarité…).
Les deux
procès, de part leurs objets, serviront les thèses islamophobes en général,
mauritanophobes en particulier. Il faut dire que les agissements des années 80
et 90 ont laissé des traces fortes dans la perception que l’opinion publique
internationale a de nous et de notre pays. Longtemps, nous avons été assimilés
au régime d’apartheid. Il en reste aujourd’hui que de nombreux journalistes et
acteurs étrangers croient ferme que des marchés d’esclaves subsistent ici, que
des maîtres castrent encore leurs esclaves (les propos sont ceux d’un militant
ayant pris la parole devant les commissions spécialisées de l’ONU). C’est que
les militants de ces causes n’hésitent pas à accabler, à exagérer une réalité
déjà insupportable pour ce qu’elle est. Ils n’hésitent pas à donner les
chiffres les plus incongrus, à décrire les situations les moins probables,
alors qu’un cas d’esclavage, un seul cas est déjà de trop.
L’exagération sert à occulter le chemin parcouru,
l’effort continu. A entendre aujourd’hui le débat au Parlement européen, à lire
les articles parus ici et là, à écouter les différents acteurs, on se rend
compte qu’aucune référence n’est faite à la feuille de route pourtant conçue et
mise en œuvre sous la supervision de la Rapporteur spéciale des Nations Unies.
Une maladie spécifique de nos latitudes : toujours donner l’impression que
rien n’est entrepris, que rien n’est fait pour changer une situation… une autre
façon de lutter pour garder le caractère immuable des lignes de démarcation.
Une forme de résistance au changement.