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mercredi 24 décembre 2014

Qu’attend-on des deux procès ?

Deux procès s’ouvrent en même temps en Mauritanie. Le premier à Nouadhibou où l’on juge le jeune auteur de l’article jugé blasphématoire pour le Prophète (PSL). Le second se tient à Rosso. Là on juge Birame Ould Dah Ould Abeid, président d’un mouvement anti-esclavagiste, arrivé deuxième à la dernière élection présidentielle avec plus de 8% des voix. Chacun des deux procès est lourd de conséquences pour la Mauritanie, pour le pouvoir en place, mais aussi et surtout pour le débat sociétal qui prend toute son ampleur avec l’éclosion de la liberté d’expression.
Le procès de Nouadhibou prend déjà l’aspect d’une Inquisition car le niveau de ceux qui jugent et de ceux qui défendent fait qu’on bloque autour de la question du repentir. Le repentir du jeune Ould Mkhaytir est-il sincère ou non ? est-il suffisant quand il s’agit d’atteinte à la personne de Mohammad, Paix et Salut sur Lui (PSL) ?
Le débat sur la loi mauritanienne est ainsi occulté. Nous apprenons ce soir que le jeune a été condamné à mort. Il ne pouvait en être autrement quand on a été incapable de s’extraire à la pression de la rue. La loi mauritanienne est pourtant claire.
Dans sa section IV intitulée «Attentats aux mœurs de l’Islam, Hérésie, apostasie, athéisme, refus de prier, adultère», le Code pénal mauritanien dit en son Article 306 : «Toute personne qui aura commis un outrage public à la pudeur et aux mœurs islamiques ou a violé les lieux sacrés ou aidé à les violer, si cette action ne figure pas dans les crimes emportant la Ghissass ou la Diya, sera punie d'une peine correctionnelle de trois mois à deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 5.000 à 60.000 UM.
Tout musulman coupable du crime d'apostasie, soit par parole, soit par action de façon apparente ou évidente, sera invité à se repentir dans un délai de trois jours. S'il ne se repent pas dans ce délai, il est condamné à mort en tant qu'apostat, et ses biens seront confisqués au profit du Trésor. S'il se repent avant l'exécution de cette sentence, le parquet saisira la Cour suprême, à l'effet de sa réhabilitation dans tous ses droits, sans préjudice d'une peine correctionnelle prévue au 1er paragraphe du présent article.
Toute personne coupable du crime d'apostasie (Zendagha) sera, à moins qu'elle ne se repente au préalable, punie de la peine de mort. 
Sera punie d'une peine d'emprisonnement d'un mois à deux ans, toute personne qui sera coupable du crime d'attentat à la pudeur.
Tout musulman majeur qui refuse de prier tout en reconnaissant l'obligation de la prière sera invité à s'en acquitter jusqu'à la limite du temps prescrit pour l'accomplissement de la prière obligatoire concernée. S'il persiste dans son refus jusqu'à la fin de ce délai, il sera puni de la peine de mort.
S'il ne reconnaît pas l'obligation de la prière, il sera puni de la peine pour apostasie et ses biens confisqués au profit du Trésor public. Il ne bénéficiera pas de l'office consacré par le rite musulman.»
Ce Code pénal qui date de juillet 1983 (Ordonnance 83-162 du 09 juillet 1983) n’a jamais été revisité. Devant la pression de la rue, les Ulémas – dont certains avaient participé à la rédaction de ce texte – ont préféré se taire pour laisser la scène à des barbus de pacotille.
Le deuxième procès qui s’est ouvert ce matin ne peut que se transformer en procès politique. Procès du régime, de la société inégalitaire, probablement de la communauté Bidhâne… on ne peut plus éviter qu’il en soit ainsi dès lors que les mobilisations se sont faites sur la base des appartenances partisanes : c’est un peu l’Union pour la République (UPR) qui se dresse face à IRA qui bénéficie du coup du soutien plus ou moins annoncé des protagonistes du parti au pouvoir.
Il ne sera probablement pas question de la question de l’esclavage. Les uns et les autres refusant d’aller au fond des problématiques. Restera pour nous l’amère impression qu’on a risqué inconsidérément de ternir l’image du pays en engageant deux procès symboles : celui de Nouadhibou qui renvoie à la liberté d’expression et de culte, l’autre à Rosso qui reste lié aux Droits de l’homme. Des thèmes souvent utilisés par les activistes aux Etats-Unis, en Europe pour viser des pays et/ou des aires culturelles dans le collimateur.