De temps en temps, se pose, avec plus ou moins d’acuité, la question de
l’hymne national du pays. Quelques voix s’élèvent à chaque fois pour critiquer
l’hymne en expliquant que «son thème est éculé et qu’il ne répond pas à la
ferveur nécessaire à pareille occasion». En fait, pour certains – une
minorité agissante parce que turbulente -, le poème de Shaykh Baba Ould Shaykh
Sidiya est un hymne contre les déviances contractées à la suite des
interprétations humaines du texte coranique originel. On y voit l’expression
d’un salafisme qui fait grincer les courants confrériques, toujours très
forts en Mauritanie. D’autres reprochent au texte son manque de chaleur,
de force, d’agressivité… C’est qu’au début, la vocation du pays
était celle de la paix, de la tranquillité, de la convergence… L’emprunte
maraboutique y est pour quelque chose.
Aujourd’hui, on veut bien que l’indépendance ait été le fruit d’un combat,
de sacrifices, voire d’une guerre de libération. On
cherche à célébrer des martyrs de l’indépendance, à (re)faire l’histoire du
processus de la création d’une Mauritanie qui a d’abord (et surtout) été le
projet de Xavier Coppolani, le colon honni. Ceux qui tiennent à (re)faire cette
histoire, tiennent à ce que l’hymne national reflète cet élan guerrier qui a,
en fait, toujours manqué. Soit ! seulement…
En 1968, au début de l’année, Ahmedou Ould Abdel Kader, notre poète
national dont les talents se révélaient alors, fut approché par un cousin à lui
qui l’amena voir le ministre Ahmed Ould Mohamed Salah chargé à l’époque de
réfléchir sur le changement de l’hymne. La rencontre des deux hommes se déroula
très bien, le responsable expliquant au poète ce qu’il attendait de lui :
un texte qui conviendrait à une célébration et qui respecterait la métrique
existante. Reparti à son poste de travail, le poète Ould Abdel Kader n’eut pas
le temps de composer dans l’immédiat le poème, lui qui était aussi occupé par
ses activités de militant de l’organisation nationaliste arabe et du syndicat
affilié. Quelques semaines passèrent et les évènements de Zouérate éclatèrent.
Le poète se retrouva en prison et on oublia le projet.
En 1979, on le sollicita ainsi que d’autres poètes et compositeurs de
l’époque sur instruction du colonel Moustapha Ould Mohamed Salek, chef de la junte
militaire. Alors que la réflexion était engagée, survint le coup de force du 6
avril 1979, par lequel le colonel Ahmed Ould Bouceif et son groupe prenaient en
main les destinées du pays. On oublia de nouveau le projet.
En mars 1989, le poète Ahmedou Ould Abdel Kader – qui a la reconnaissance
des Mauritaniens – est invité par le colonel Moawiya Ould Taya, président du
Comité militaire de salut national au pouvoir, à composer un poème à la gloire
du pays autre que celui-là, insignifiant et trop froid. Il revient au
début du mois d’avril pour remettre au Président un feuillet où il avait
transcrit le poème qu’il proposait. Le Président rangea soigneusement le
feuillet dans la poche de sa veste et pris congé, l’air déterminé. Mais
quelques jours après survinrent les événements de Diawara, opposant éleveurs
peulhs sénégalais à des agriculteurs soninké mauritaniens. Le début d’une
confrontation entre les deux Etats qui a failli prendre les contours d’une
guerre raciale entre Bidhane et Noirs. Le projet fut oublié dans le tumulte.
Cette chronique de l’hymne – le mot est du poète Ahmedou Ould Abdel
Kader – nous dit que l’hymne est quelque part «intouchable». Les adeptes
de l’administration de l’invisible – concept forgé par l’éminent
Professeur Abdel Wedoud Ould Cheikh – auront compris que le poème de Baba Ould
Shaykh Sidiya a quelque baraka qui l’entoure. Le thème qu’il traite est
toujours actuel parce qu’il s’érige contre l’extrémisme religieux et les
interprétations fallacieuses des textes originels. Il participe à
l’adoucissement des mœurs et n’a pas vocation à cultiver la haine et la
violence. Qui dit mieux ?
PS : A préciser à ceux
qui ne le savent pas que la musique de l’hymne national a été composée par le
nommé Tolia Nikiprowetzky et que certaines de ses partitions ont disparu
dans ses versions jouées aujourd’hui.