En trois semaines, le contingent tchadien basé au Mali dans le
cadre de la mission de maintien de la paix dans ce pays (MINUSMA) a perdu dix
soldats. Suffisant pour que les autorités de ce pays dénoncent ce qu’elles
considèrent désormais comme la conséquence d’un dispositif «discriminatoire»
qui fait de leurs soldats une sorte de chaire à canon. Dans un communiqué
publié à la suite du dernier attentat qui a coûté la vie de cinq soldats
tchadiens, le gouvernement dit avoir constaté «avec regret que son
contingent continue à garder ses positions au Nord-Mali et ne bénéficie d’aucune
relève. Pire, notre contingent éprouve des difficultés énormes pour assurer sa
logistique, sa mobilité et son alimentation». C’est que le gouvernement
tchadien voit que son contingent est «utilisé comme bouclier aux autres
forces de la MINUSMA, positionnées plus en retrait». Ce qui explique l’ultimatum
adressé par les autorités tchadiennes qui promettent de «prendre les mesures
qui s’imposent». Menace de retrait à peine voilée : «un délai d’une
semaine est accordé à la MINUSMA pour opérer les relèves nécessaires et mettre
à la disposition du contingent tchadien tous les moyens destinés à l’accomplissement
de sa mission».
Cité par une dépêche de l’AFP, un officier tchadien a déclaré qu’«à
la date du 24 août, il n’y avait même pas une radio à Aguelhok pour communiquer
avec les autres localités. C’est grave. Nous vous demandons si c’est parce que sommes
des Noirs que nous n’avons pas droit aux mêmes mesures de protection que les
autres troupes». Avant de prévenir : «mais si ça continue, nous
allons plier bagages».
Quand la France avait sollicité une participation mauritanienne à l’effort
de guerre au Mali, la Mauritanie avait, dans un premier temps conditionné cet
apport par une demande expresse du gouvernement de transition d’alors. Ce qui
fut fait. Mais ce gouvernement s’était empressé d’ajouter qu’il voulait
confiner l’éventuel contingent mauritanien dans la région de Douenza, non loin
de la frontière avec le Burkina Faso, à des milliers de kilomètres des
frontières avec le pays. Les Mauritaniens avaient alors refusé parce la région
indiquée était trop loin de leurs bases arrières et ils savaient parfaitement
qu’ils seraient plus exposés que toutes les autres forces africaines présentes.
D’une part parce que cette guerre les concernait à ce moment-là
plus que les Sénégalais, les Burkinabés, les Togolais ou même les Tchadiens qui
ont fini par payer le prix le plus lourd. Ce sont bien les Tchadiens qui vont
palier la faiblesse voire l’incapacité des autres troupes africaines pour se
retrouver à l’avant-garde du front terrestre, comme boucliers devant les
troupes françaises engagées au sol. Pendant Serval et après Serval, pendant la
MISMA (mission africaine) et avec la MINUSMA, ce sont bien les Tchadiens qui
vont souffrir de leur engagement réel au combat.
Les Mauritaniens étaient d’autre part aguerris pour faire face aux
troupes et méthodes jihadistes. En effet, l’Armée mauritanienne est sortie de
sa confrontation avec AQMI plus forte, mieux équipée et surtout beaucoup plus
mobilisée qu’elle ne l’était avant. Elle est la seule à avoir pris les devants,
anticipant le projet de AQMI de faire des régions sahariennes, un Jihadistan
comme cela se fera plus tard en Irak et au Levant (avec Da’ish et l’Etat
islamique). Quand elle faisait face et qu’elle agissait, aucun des Etats
riverains, y compris le Mali, n’a voulu lui porter main forte. Au contraire, le
pays fut critiqué pour son engagement, certains des «amis» allant même
jusqu’à le trahir en donnant des renseignements à AQMI et ses acolytes.
Quand il s’est agi de Serval, les Mauritaniens ont compris que ce n’était
pas leur guerre. Ils se sont contentés de bien tenir leurs frontières. Quand il
s’est agi des forces internationales – MINUSMA -, les nôtres ont compris que ce
n’était pas encore le moment de se laisser entrainer dans un bourbier qui ne
dit pas son nom. Aujourd’hui, les faits leur donnent raison : il serait
arrivé à nos troupes ce qui arrive aujourd’hui aux Tchadiens (et même pire),
avec ce sentiment d’être payés pour mourir à la place des autres.
C’est le lieu de saluer cette anticipation qui a permis au pays de
ne pas s’engager dans une guerre qui n’est pas encore - ou qui n’était plus -
la sienne. Même s’il faut surveiller ce qui se passe de très près tout en
évitant d’y prendre part tant qu’il s’agit d’une guerre de prestige d’un
Président, François Hollande qui en manque terriblement.