L’organisation
par le ministère chargé des affaires islamiques d’un colloque sur l’éradication
de l’esclavage est un évènement important, même très important. C’est sans
doute la première fois qu’un conclave de Ulémas et exégètes de la charia se
réunissent pour réfléchir sur la question.
Il
y a eu certes des polémiques juridiques entre ceux de l’autorité religieuse qui
justifiaient la pratique et ceux qui, au contraire la condamnaient. Depuis le
16ème siècle, particulièrement à partir du 18ème et
pendant le 19ème, les tenants de la thèse pour l’émancipation et
condamnant la pratique esclavagiste avaient presque réussi à prendre le dessus.
Mais la pratique sociale a été plus forte.
Quand
l’Imam Nacer Eddine lance sa «guerre des marabouts» - c’est comme ça
qu’on l’appelle de l’autre côté du Fleuve – c’est d’abord par des attaques
contre les forteresses où l’on parquait les esclaves en partance pour les
Amériques. C’est dire combien la question était au centre des préoccupations de
l’élite de l’époque. Même si, plus tard, le mouvement de résistance lancé par
Shaykh El Haj Omar Tall, accompagnera intensément la traite négrière dont il
sera l’un des pourvoyeurs.
Aujourd’hui,
au milieu du tumulte que suscite la question au 21ème siècle et
au-delà du stérile débat autour des termes («séquelles» ou «pratiques»),
cette réunion devait servir à faire accompagner les efforts du pays – partis,
organisations civiles, simples militants d’une cause toujours d’actualité –
pour détruire le prétexte religieux encore utilisé pour justifier et maintenir
des humains dans l’asservissement.
C’est
pourquoi, il n’y avait pas lieu de tergiverser. L’autorité politique et
religieuse aurait dû éviter de s’arrêter sur le fait de savoir s’il s’agit de «séquelles»
ou de «pratiques». L’énergie dépensée par les discoureurs officiels à
vouloir s’en tenir à une terminologie qui a empêché toute avancée sur la
question dans le passé, devait servir à faire preuve de courage, ne serait-ce
que pour accompagner les efforts réels entrepris.
Quand
le Premier ministre ou le ministre des affaires islamiques, quand les Fuqahas
prennent la parole, le premier souci est de se tuer à faire la démonstration
que ces pratiques n’existent plus. Alors pourquoi avons-nous besoin de ce genre
de conclaves si la question n’était pas d’actualité ?
L’esclavage
existe. On peut – si l’on veut – le rencontrer partout où l’on va. Mais
pourquoi il existe encore alors que l’Etat moderne a déployé un arsenal
juridique pour le combattre, depuis les circulaires des années 60 aux lois
l’incriminant ces dernières années ? Parce que la résistance à
l’application de la loi est trop forte. Entre certains maîtres qui refusent
d’abandonner l’asservissement d’humains comme eux et des esclaves qui ne veulent
pas de cette libération que leur procure la loi, le front esclavagiste est bien
constitué. C’est souvent l’argumentaire religieux qui lui justifie son attitude
et ses pratiques ignobles. D’où l’importance du conclave.
La
rencontre devait émettre un avis sans appel contre la pratique esclavagiste,
mais aussi contre toute attitude raciste, asservissante ou humiliante. Elle
devait être le point de départ d’une nouvelle relecture se rangeant aux côtés
des fondements de la Modernité. La promotion de l’égalité, de la citoyenneté,
de l’équité, de la valeur du travail et du mérite, de l’humilité et de la
justice… qui sont en définitive des valeurs promues par l’Islam.
Nous
avons besoin d’une exégèse qui défende le faible, le démuni, non pas de celle
qui est au service du plus fort. Une exégèse conforme à l’esprit et à la lettre
de l’Islam originel qui a été la religion des démunis avant de rayonner sur le
Monde. Partout, à la Mecque, à Médine, en Perse, à Byzance, en Ifriqiya, au
bord du Sind, aux confins de l’Occident barbare, l’Islam a d’abord été la
religion qui a permis de libérer les plus faibles, de rendre justice aux
opprimés, d’instituer une équité qui reconnait la valeur de chacun, le droit de
chacun. C’est cet Islam-là que nous voulons voir ressurgir des conclaves et des
réflexions de nos Ulémas, de notre religieuse.
La
méfiance et la timidité quand il s’agit de traiter une question aussi sensible
et aussi grave que l’esclavage participent des conservatismes que nous devons
combattre. Dans un pays où les autorités viennent de mettre en œuvre une
feuille de route en vue d’éradiquer la pratique, il n’y a pas lieu d’hésiter à
appeler les choses par leurs noms. L’esclavage existe, il faut l’éradiquer par
l’application stricte des lois à travers la juridiction créée (devant être
créée) à cet effet. Les inégalités existent et toutes les communautés en
souffrent, il faut les combattre par l’assainissement de l’administration, de
la justice. Les mentalités rétrogrades survivent, il faut les chasser à travers
l’école, moule de la Mauritanie moderne.