J’étais en train de lire un discours officiel quand je suis
tombé sur le mot «irréfragable». Je n’avais jamais entendu ce mot. Ce
n’est pas extraordinaire tant il est vrai que mon lexique reste très limité. Je
fais partie de ceux qui savent juste ce qu’il leur faut pour pouvoir exprimer
leurs idées et comprendre l’autre pour échanger avec lui. A l’école, on m’a
appris très tôt à ne pas aller chercher trop loin pour dire ce que j’ai à dire.
Bref, mon lexique est très, très limité.
Mais je ne sais pas comment on peut aller chercher un mot
comme «irréfragable» pour dire certaines banalités. A toutes fins
utiles, je partage avec vous le fruit de mes recherches pour comprendre ce mot
qui sonnait comme un barbarisme.
J’apprends que c’est un mot «emprunté du bas latin irrefragabilis
(«irréfutable»), dérivé du latin classique refragari («voter
contre, s’opposer à»)». En droit, l’adjectif est utilisé pour qualifier «une
présomption légale à laquelle on ne peut pas apporter de preuve contraire».
Dans une circulaire de 2005 relative à l’épargne salariale, on note : «En
application de l’article L. 132-2, seuls les représentants d’organisations
syndicales représentatives sont habilités à conclure un accord. Conformément
aux dispositions de cet article, cette représentativité peut résulter soit de
la présomption irréfragable établie au bénéfice des syndicats affiliés aux
organisations représentatives au plan national (arrêté du 31 mars 1966)».
J’apprends aussi qu’en didactique, cela qualifie la chose «qu’on ne peut
contredire, qu’on ne peut récuser», exemples : «Un témoignage
irréfragable ; une autorité irréfragable». Comme synonymes, on propose
«irréfutable» et «irrécusable».
La définition donnée par les dictionnaires de droit – c’est
un qualificatif utilisé surtout dans le droit – est beaucoup plus
explicite : «L’adjectif ‘Irréfragable’ qualifie certaines
présomptions de droit lorsque la loi y attache un caractère absolu.
L’irréfragabilité rend irrecevable l’offre d’administrer la preuve contraire.
Par exemple l’autorité de la chose jugée au pénal sur le juge civil, soit quant
à l’existence des faits qui constituent la base commune de la poursuite pénale
et de l’action civile, ce caractère empêche l’adversaire de celui qui se
prévaut d’un fait établi par une décision pénale d’offrir, de démontrer que ce
fait n’a pas eu lieu. Lorsque les présomptions ne sont pas irréfragables, elles
sont dites ‘simples’ ou ‘relatives’, ce qui permet à celui qui y
a intérêt, d’obtenir du tribunal qu’il puisse apporter la preuve contraire.
Exemple, la présomption de bonne foi ou encore la présomption de véracité qui
s’attache à l’aveu ou au serment judiciaire».
Tout ce qui précède ne justifie pas le recours à un tel mot
pour dire «la volonté politique irréfragable du Président de la République…»
Il faut attendre peut-être, le quatrième niveau de compréhension qui dit que «la
preuve irréfragable se distingue de la preuve péremptoire en ce
que la première est conçue par rapport à une autre preuve, laquelle, lui étant
contraire, serait inadmissible si elle était rapportée, tandis que la preuve
péremptoire n’est conçue par rapport à aucune autre preuve qu’elle-même. La
preuve est irréfragable quand elle ne laisse aucune place à un doute raisonnable ;
elle est certaine. Elle devient réfragable quand elle peut être réfutée au
moyen d’éléments de preuves contraires». Qui dit mieux ?