La vulgarité de «ceux-là» fait qu’il suffit
d’en parler pour prendre l’air de les insulter ou de les calomnier. Alors on a
peur de parler de «ceux-là». Parce qu’on veut bien croire que «ceux-là»
peuvent faire et défaire la notoriété, qu’ils peuvent participer ou non à la
promotion, qu’ils détiennent l’arme qui peut faire de chacun ce qu’il n’est
pas…
«Ceux-là», ce sont ces bouffons-crieurs publics qui
emplissent les espaces de leurs youyous qu’ils accompagnent de leurs formules
toutes faites mais qui ne veulent souvent rien dire. Ils sont là devant les
portails, à l’entrée des salles de conférences, des maisons où doivent se
retrouver les convives, ils sont partout où ils peuvent espérer «faire
tomber quelque chose de quelqu’un».
Leur méthode est simple et bien huilée : ils se
mettent à crier à la vue de la victime, «wanni, wakhyart, yaash, eski,
dickooh…», autant d’exclamations utilisées d’habitude pour exprimer
l’enthousiasme devant la vue de quelqu’un, c’est en contrepartie de cette
célébration que la victime se voit dans l’obligation de «faire un geste».
«Ekheyr minnak» (c’est toujours mieux que toi) entend-on souvent ces
gens prononcer après avoir déplumé la personne, comme pour dire la faiblesse de
celui qui fait le geste.
Le phénomène fait partie de l’héritage PRDSien (du Parti
républicain, démocratique et social de l’ère Taya). A l’époque, quelques
individus avaient trouvé la voie pour quémander sans paraitre le faire.
Certains d’entre eux sont allés jusqu’à se présenter en censeurs moraux. «Je
sui là pour dire au Président de la République qui est voleur qui ne l’est pas,
qui le sert le mieux et qui le dessert», m’avait dit l’un d’eux à la fin
des années 90. La théâtralité et la violence utilisée souvent participaient de
cette volonté d’humilier les hauts cadres de l’administration qui se trouvaient
obligés d’acheter leur notoriété. Cela participait aussi de la justification
morale de la prédation instituée en forme de gouvernement.
Le cadre qui n’a aucune fierté à être ce qu’il est, le
politique qui n’a aucune raison de prétendre à une quelconque notoriété recourent
souvent à ces «faiseurs d’opinion» pour se donner des forces. Parfois,
ces crieurs sont utilisés pour attaquer l’ennemi publiquement, une façon de
déstabiliser celui qu’on prend pour le protagoniste.
Le plus grave dans la présence de ces «mouchards»,
c’est qu’ils sont tolérés et même traités avec considération par les officiels.
Si quelques éléments assurant la sécurité d’un officiel ont une fois essayé de
les écarter, ils ont subi pour cela d’énormes pressions, comme si dégager ces
sangsues équivalait à un délit.
Plus
grave encore le fait que cette présence n’ait jamais suscité la désapprobation
et/ou l’intérêt des journalistes. Dans l’un de ses derniers journaux télévisés,
Sahel TV a justement présenté ces bouffons sous leur plus mauvais jour. Il faut
l’en remercier.