Une
communauté dynamique, c’est ce qu’on peut dire des Mauritaniens de Belgique. A Anderlecht,
lieu de prédilection de l’installation des immigrés africains, congolais en
particulier, vous ne pouvez pas marcher cent mètres sans croiser un
Mauritanien. Ils se reconnaissent facilement entre eux, même s’il arrive de les
prendre pour des Marocains, eux aussi très nombreux dans le quartier. Quand on
fait attention, on est forcément surpris par les quelques formules hassaniya
qui volent dans les airs, tantôt avec accent, tantôt sans. Syro-libanais et
Marocains ont adopté salutations et interpellations d’usage chez nous.
Officiellement,
ils sont près de trois mille à vivre en Belgique. Selon certaines sources, ils
seraient plus de cinq mille, entre les résidents, les installés temporaires
(sur une période plus ou moins longue) et ceux qui ne font que passer le temps
d’un marché. Ils sont tous cependant indépendants et en activité. Ce n’est pas
une communauté où la délinquance sévit : jamais un membre de cette
communauté n’a été mêlé à une affaire de police sérieuse. Quand ça se passe –
parce que ça arrive justement -, c’est entre eux et cela se règle plutôt en
Mauritanie.
C’est
une fois un jeune «intermédiaire» qui disparait avec la bagatelle de
450.000 euros. Un autre qui se taille avec 180.000 euros… les histoires de ce
type d’affaires – un homme à qui on a confié une somme appartenant à plusieurs
opérateurs et qui prend la fuite emportant avec lui l’argent -, ces histoires
ne finissent pas de vous emplir la tête. Vous en arrivez à confondre les
acteurs, les montants, les victimes… Avec cette forte impression que «cela
ne cloche pas».
Tout
cet argent que l’on perd à jamais, la résignation des victimes, l’arrogance des
fauteurs, le déroulement des événements…, rien de ce que vous allez entendre ne
relève du rationnel. L’on va vous suggérer des explications : ce sont les
parties visibles de très grandes opérations de trafic de devises qui couvrent
parfois toute l’Europe et qui trouvent fatalement leur point d’arrivée au Maroc
ou en Mauritanie ; ou des opérations de blanchiment qui touchent des fonds
énormes, alors la perte de quelques centaines de milliers d’euros relève de
l’anecdote… Jusqu’à présent, la communauté n’a pas eu à souffrir de ces
activités dans le noir, mais ça finira un jour par éclater. Le pays a d’ores et
déjà intérêt à intervenir et à encadrer cette communauté pour la pousser à se
protéger en introduisant un code de conduite moins «informel»…
Ici,
c’est bien sûr le marché des voitures qui attire le plus (d’autres denrées font
l’objet d’un intense commerce, mais ce sont surtout les voitures qui
intéressent). En moyenne 1500 à 2000 véhicules (tous types) sont expédiés
mensuellement en Mauritanie. Si l’on estime le prix moyen à 3000 euros le
véhicule (entre les 4x4 et les voitures de luxe), on est déjà entre 4,5
millions et 6 millions euros par mois, soit un montant annuel allant de 54
millions à 72 millions euros. Enorme ! Surtout si l’on sait que la devise
servant à faire les transactions ne prend jamais le circuit «normal» des
banques et que ce ne sont pas les réserves en devises du pays qui sont
utilisées à cet effet. Alors d’où vient cet argent ?
Personne
n’a encore fait les enquêtes nécessaires. Mais les informations indiquent qu’il
existe des circuits internationaux qui couvrent la région de l’Asie à partir de
Dubaï, de l’Afrique (dans ses différentes zones), de l’Europe et de l’Amérique.
De Norvège en Italie, il existe des «collecteurs» qui rachètent les
devises en contrepartie de monnaies locales dans les pays d’origine des
propriétaires. Vous êtes Marocain, Emirati, Malien ou Sénégalais, vous avez
besoin d’urgence d’une somme donnée en Dirham ou en FCFA, il suffit alors de
s’adresser à l’un des collecteurs à qui vous remettez l’équivalent en devise et
immédiatement (par coup de téléphone) le transfert a lieu. Plus rapide, plus
efficace et moins cher que les circuits traditionnels formels : aucune des
sociétés de transfert ne peut concurrencer le système. Sa nature exige
cependant le sérieux et l’efficacité parce qu’il est basé sur la confiance.
Nous
avons tous un jour eu besoin de recourir à un tel réseau qui n’a pas manqué de
satisfaire rapidement nos besoins. Partout : en Indonésie, en France, en
Italie, en Suède, au Mali, au Maroc, aux Emirats, en Amérique…, il y a toujours
possibilité de disponibiliser de la monnaie locale en contrepartie d’une devise
remise quelque part dans le monde. L’inverse est aussi vrai : on peut
déposer à n’importe quel moment de l’ouguiya, du FCFA, du Dirham et se faire
remettre son équivalent en devises immédiatement et partout dans le monde. Le
système des Hawalat, désormais connu dans le système financier international,
en moins formel.
La communauté mauritanienne en Belgique n’est pas
seulement faite de ces «marchands de voitures», il y a aussi une frange
qui est issue de l’exil des années de braise (1989-1991). Beaucoup de
Mauritaniens se sont réfugiés à l’époque en Belgique où ils ont pu avoir un
statut de réfugiés. La plupart d’entre eux sont rentrés depuis le coup d’Etat
de 2005. Mais certains sont restés pour une raison ou une autre. Ajouter à
ceux-là tous les naturalisés et qui pourraient être chiffrés à un demi-millier.