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dimanche 23 mars 2014

Entre barbus, on se teint plutôt mal

Le premier barbu est un commerçant. Il se présente comme quelqu’un qui a été floué par un autre barbu. Ce deuxième barbu est un ministre de la République qui plus est des affaires islamiques. L’affaire commence par une démarche singulière du ministre qui fait appel au premier barbu de lui «faire fructifier» quelques 44 millions. Après quelques temps, le ministre demande à son homme de faire les comptes. Le barbu «bookmaker» - parce qu’on lui demande de faire des affaires rapides et bénéfiques en faisant des placements (comme des paris) – prend avec lui le ministre pour lui montrer certains «investissements» dans l’immobilier avant de lui remettre la somme de 20 millions.
Passe le temps et pas de nouvelles du premier barbu, celui à qui a été confiée la somme de 44 millions. Récemment, le ministre trouve une astuce pour récupérer «son» bien. Il appelle son traitant pour lui dire qu’il a quelques milliers de dollars, quelques milliers d’euros et quelques autres du Dirham Emirati. En tout, la valeur de 27 millions. Le ministre revenait de voyage du Golfe et il est plausible (visiblement) qu’il ait ces sommes.
Au bout de quelques heures, le barbu bookmaker arrive avec ses 27 millions. Le ministre le laisse dans le salon du rez-de-chaussée pour «mettre l’argent en lieu sûr et ramener les devises». Mais au retour, le ministre ne rapporte que 3 millions, «je garde le reste parce qu’il me revient». Catastrophe !
Branle-bas de combat et mobilisation générale. Le premier barbu essaye par tous les moyens de récupérer cet argent en arguant qu’il s’agit d’un pactole ramassé chez des opérateurs de place (tous des barbus). On ne sait pas comment le contact direct est fait entre le ministre et ceux qui prétendent être les véritables propriétaires de l’argent. Certainement à travers les réseaux tribaux qui sont devenus le cadre de toutes les combines mafieuses.
De ce qui a été publié, on voit clairement que les barbus «propriétaires» avaient comme objectif d’enregistrer les déclarations du ministre sur la question pour utiliser éventuellement l’enregistrement comme moyen de pression. Finalement, les choses sont allées très vite et l’enregistrement fut publié sur le net.
Maintenant on sait que le ministre a refusé de rendre l’argent et qu’il dit que la manière utilisée est «légale». Que le premier barbu a dit qu’il était prêt à rembourser l’argent du ministre qu’il a utilisé pour l’achat de terrains et de maisons. Que les barbus, «vrais propriétaires», tiennent à poursuivre le ministre avec lequel pourtant ils n’ont aucun rapport.
Mais on ne sait pas d’où vient l’argent du ministre. On ne sait pas non plus pourquoi le Parquet ne s’est pas mêlé de l’affaire ne serait-ce que pour voir clair dans l’activité de ces banques parallèles. Ni la police financière, ni les services de contrôle de la BCM ne sont intéressés par l’affaire.
Ce qui est discutable dans les procédés, c’est d’abord l’activité «commerciale» du ministre. Au moins sur le plan moral. Et même sur le plan du «légal» (shar’i). Le bon sens, caractéristique de tout système législatif, ne peut ouvrir la voie à la personne lésée pour se faire justice. Sinon, c’est une grande partie des Mauritaniens qui doit vouloir se faire justice elle-même, l’état des créances et des affaires étant celui qu’on connait. Le ministre Ahmed Ould Neyni est sans doute l’un des meilleurs connaisseurs de la science religieuse islamique (malékite), n’empêche que sa position est indéfendable.

Ce qui est indiscutable, c’est qu’il s’agit d’une «affaire» qui doit être éclaircie devant l’opinion publique. Ce qui est – ou parait – indiscutable aussi, c’est le crédit moral dont jouissent les protagonistes de cette histoire… ce crédit est-il justifié ? c’est la question qu’on finit par se poser quand on voit toutes ces figures auréolés de grandes barbes – bien ou mal taillées – et marquées par les traces des prosternations régulières, toutes ces figures les unes trompant les autres et toutes trompant tout le monde.