Depuis cette fameuse nuit où des exemplaires du Saint Coran ont été
découverts déchirés et jetés par terre, il ne se passe pas un jour sans qu’on s’en
prenne à la presse accusée tantôt d’avoir «soufflé sur les braises»,
tantôt «provoqué les débordements». Prêches de vendredis, articles,
entretiens, séminaires…, tout devient occasion. Comme si la presse était
responsable des écrits contre le Prophète (PSL), ou du mauvais entretien des
Livres saints. La presse elle-même a commencé à jouer à ce jeu dont l’objectif
est de trouver un bouc-émissaire pour éviter de mettre le doigt sur là où ça
fait mal. Derrière cette littérature – de mauvaise facture souvent – se dessine
une volonté de faire revenir la chape de plomb, de réinventer l’article 11, de
limiter la liberté d’expression.
En fait notre société n’est plus capable de se regarder en face. Notre
élite – intellectuelle, religieuse et politique – ne peut plus répondre aux
questionnements légitimes d’une jeunesse prise au piège d’une mauvaise
préparation à la vie. Mal outillée pour faire face à un destin des plus
aléatoires, notre jeunesse vu un désarroi profond. Devant l’état d’hébétude qu’elle
vit, la réponse n’est pas celle du traitement violent mais celle du dialogue.
il se trouve que ceux qui devaient être les «répondants» dans ce
dialogue nécessaire n’ont plus rien à dire. Ils ont démissionné et préféré «les
nourritures terrestres» à celles de l’esprit…
Cette régulation que l’on tente d’imposer à la presse, est en fait
une nécessité dans une Mauritanie où l’on se pose plus de questions que l’on
apporte de réponses. Il est vrai cependant que la démesure dont font preuve les
organes de presse ajoute au désarroi général. Parce qu’elle n’est pas encore mature,
la presse participe effectivement à la perte de repères. Parce qu’elle essaye d’aller
au rythme des changements sociaux décidément trop rapides, la presse déboussole
encore plus le mouvement social général. Mais cela n’en fait pas un responsable
du tourbillon qui nous prend.
La presse peut et doit participer à la mise en place de nouveaux
systèmes de valeurs partagées, de valeurs citoyennes, de valeurs positives. Et s’empêcher
résolument de jouer le jeu de ceux qui tentent d’atomiser encore plus, d’émietter
encore plus un corps social largement déstructuré.
La presse n’est pas responsable et la liberté d’expression
n’est pas à mettre en cause. C’est plutôt notre capacité à bien lire, à bien
interpréter les transformations sociales, à concevoir des solutions à nos
problèmes, à apporter des réponses à nos questionnements…, c’est tout cela qu’il
faut remettre en cause.