Dans le tumulte qui a dominé le pays ces derniers temps, de
nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer l’enseignement de la philosophie
dans les établissements scolaires. Cette exigence, plusieurs fois répétées, n’a
pas mérité commentaire de la part des observateurs. Parce qu’ils savent que la
philosophie n’est plus enseignée depuis près de trois décennies. Parce que
nombre d’entre eux croient ferment que c’est bien parce que la philosophie n’est
plus enseignée que des générations de Mauritaniens, pourtant scolarisés et
parfois diplômés, ont perdu la faculté de réfléchir et avec elle le sens
critique.
Contrairement à ce que pensent ceux qui vocifèrent aujourd’hui
et qui couvrent toutes les voix de la Raison, la philosophie enseigne à refuser
le diktat des idées reçues. Elle nous apprend à nous poser des questions et à
chercher à y répondre tout en sachant que nous ne serons jamais satisfaits des
réponses que nous obtenons dans l’immédiat. Elle nous prémunit contre les
déviances parce qu’elle discipline notre esprit, le structure pour lui
permettre d’organiser les connaissances accumulées. Elle nous apprend à vivre
ensemble, à partager, à discuter, à aller à l’essentiel, à éviter le superflu,
à nous interroger et donc à faire des choix…
La philosophie nous apprend à penser et à débattre de la
complicité du Monde. La culture qui cesse de se poser des questions se condamne
à une déliquescence qui mène fatalement à sa disparition. L’histoire nous
enseigne que des civilisations entières ont disparu quand elles ont été
incapables de penser leur devenir, de méditer leurs conditions. L’histoire nous
apprend aussi qu’à l’origine de toute Renaissance, il y a nécessairement l’interrogation.
Car l’interrogation est déjà le début d’une réponse qui est inévitablement une
avancée sur la voie de l’accomplissement de soi et de son humanité.
Nos Ulémas, nos élites de façon générale, tentent de trouver
la meilleure parade à ce qu’ils croient être «une vague d’athéisme déferlant
sur notre jeunesse». C’est la mode de justifier toute cette effervescence
politique et sociale par «la dissémination d’idées laïques et athées». Et
quand on choisit d’y aller comme si on allait en guerre (sainte ou pas) contre
des «mécréants qu’il faut précipiter dans la Géhenne», on ne fait rien
pour faire avancer la réflexion qui permet de préserver les fondements qui sont
les nôtres. On ne cherche même pas à comprendre ce qui arrive dans notre aire.
Nous sommes dans un pays qui connait tous les problèmes qui
expliquent et causent – ou que causent – le sous-développement : ignorance,
pauvreté, clochardisation de l’élite, délitement des structures de l’Etat, déstructuration
des mécanismes sociaux traditionnels (qui ne sont souvent pas à regretter),
absence de chaines de solidarité et de réflexions sérieuses pouvant faire
miroiter un monde meilleur. Ajoutons à ce tableau (noir), les effets de multiples
agressions dont celles qui relèvent de la nature et de l’environnement
(sécheresse), celles qui sont le propre d’une culture faite de cupidité (mal-gouvernance)
et celles qui sont le fruit de l’ouverture au Monde. Résultat : une
transition qui ne finit pas de nous déstabiliser, une transition qui prend la
forme d’un chao parce que nous aurons refusé de l’assumer pour lui donner un
sens.
Cette transition mérite des questionnements, notamment sur
les transformations sociales que nous subissons malgré nous. Ces questionnements,
une fois formulés, exigent des réponses de la société et de ses «bienpensants».
Des réponses qui n’esquivent pas les questions, qui ne rejettent pas d’avance
les questions, qui ne condamnent pas d’avance leurs auteurs…
Le rôle de nos Ulémas, Exégètes, des écrivains, des pouvoirs
publics et de la société est d’apporter des réponses aux questionnements d’une
jeunesse sacrifiée par les uns avec la complicité des autres. Et pour permettre
à cette jeunesse (mal outillée) de se poser les «bonnes» questions et,
qui sait, lui donner la possibilité d’y répondre par elle-même, il est temps de
revenir à un enseignement plus rigoureux de la philosophie dans les classes. De
quelle manière et par qui ? des questions qui méritent aussi d’être posées
et qui sollicitent des réponses. En attendant…