On est revenu à la raison. On commence se poser
les questions qu’il fallait poser dès les premiers instants, celles qui
relèvent de l’intelligence du fait. On comprend désormais que la version que
nous avons eue est celle d’un adolescent de 16 ans. On comprend que
l’information n’est pas aussi avérée qu’on l’a laissé penser. En attendant que
l’enquête en cours aboutisse, on peut faire une évaluation de ce qui s’est
passé.
Une grande casse qui a entrainé mort d’homme, un
jeune étudiant, mort à la suite de l’inhalation des gaz lacrymogènes et
probablement de l’explosion de la grenade tout près de lui. Une mort de trop
sans aucun doute qu’on pouvait éviter d’une part en imposant aux forces de
l’ordre de se comporter avec prudence, d’autre part en laissant les
manifestants exprimer leur colère en toute liberté comme cela a été fait en
toute quiétude jusque-là.
Les grandes gueules se sont tout de suite
ouvertes pour condamner «le trop de liberté d’expression», d’autres ont
commencé à indexer les médias dits «islamistes» avant d’attaquer tout ce
qui est presse pour la rendre responsable des débordements. La cabale qui avait
commencé il y a quelques mois avec les attaques contre Sahel TV, puis Al
Wataniya et Aqlam, cette cabale a repris de plus belle.
La Haute autorité de la presse et de
l’audiovisuel (HAPA) a alors convoqué les responsables des stations (radios et
télévisions) pour parler des responsabilités, des dérapages, des cahiers de
charge, du professionnalisme… Tout le monde semble avoir fini par comprendre
que l’heure est grave et que la situation ne supportait pas plus d’excitation
ou de provocation. Un pays déstabilisé, une quiétude bouleversée, une société
traumatisée, un homme en meurt, d’autres sont blessés, avec des dégâts
matériels importants…, tout ça pour un récit d’un enfant de 16 ans, une
relation d’une grande imprécision et comportant de nombreuses contradictions…
mais un récit qui a failli emporter un pays et qui a ébranlé la paix sociale.
On s’en remettra difficilement. Mais cela m’a
rappelé les jours néfastes qui ont précédé les évènements d’avril 1989. Avec
notamment, les rumeurs qui naissent ici et là-bas pour faire état de massacres
interethniques là-bas et ici (selon que vous soyez ici ou là-bas). Les mêmes
vecteurs, la même intoxication, peut-être les mêmes hommes qui vont, après, se
décharger sur le protagoniste du moment traité comme «ennemi». Cela m’a
rappelé aussi l’époque où El Bouchra et La Vérité annonçaient les répressions
futures par des attaques ciblées contre tel ou tel organe de presse accusé
d’être affilié à telle ou telle mouvance. C’est peut-être pour cela que les
observateurs ont, ces jours-ci, pensé à de possibles reculs sur le plan des
libertés. Il n’en sera rien parce que le Président Ould Abdel Aziz n’acceptera
pas de faire le moindre pas en arrière dans ce domaine. Il est conscient que
les acquis en la matière ne doivent pas être remis en cause, sous aucun
prétexte.
Nous sommes quant à nous tristes et inquiets
parce que la démocratie et son fondement la liberté d’expression ont besoin
d’être défendues. Alors que nous sommes dans un pays où la demande démocratique
n’a jamais été très forte (elle n’a jamais vraiment fait l’objet de
sacrifices), et où ceux qui sont hostiles à l’exercice de la liberté
d’expression sont nombreux et bien incrustés dans l’encadrement social et
politique. Tout comme ceux qui ne veulent pas de la démocratie.