Comment
la question de la laïcité est devenue centrale dans le débat national ?
Déjà que nous pouvons suspecter qu’elle le soit en France où cette notion est
née. Pour résumer et simplifier, il faut rappeler que l’Eglise a longtemps
dominé la vie publique, toute la vie publique. L’Etat moderne a dû s’émanciper
de cette mainmise pour asseoir la citoyenneté et l’égalité. Même si les
fondements sont restés ceux du christianisme (catholicisme particulièrement),
la religion ne pouvait plus servir à distinguer les citoyens. On peut reprocher
à la France d’aujourd’hui d’être incapable d’assumer cette ambition d’Etat
égalitaire, mais il y a quand même un débat constant autour de la question et
un rappel des objectifs de départ qui visaient la garantie des droits de
chacun.
La
laïcité est un débat français, purement français. En Allemagne ou en
Angleterre, la question ne se pose pas. Nous faisons partie de cette aire culturelle
où la problématique n’a pas de raison d’être discutée. L’absence d’un ordre clérical
chez nous y est pour quelque chose. Mais aussi la compréhension et la pratique
font que la ligne de partage entre le religieux et le reste n’existe pas. Tout découle
de notre profession de foi qui nous fournit en même temps cette conscience de
la liberté de choix et de la responsabilité de soi. Que l’on tourne la tête
dans tous les sens, que l’on scrute les différentes phases de l’histoire de la
pensée islamique, nulle trace d’un débat sur la question de la laïcité si l’on
excepte quelques penseurs qui ont fait un «transfert» de la
problématique pour en faire un thème central. Ce qui explique d’ailleurs la
traduction que nous avons trouvé du mot «laïcité» : ‘ilamaaniya. Si
l’on avait à revenir à la racine de ce mot, on trouverait ‘ilm qui
désigne ici science. Les obscurantistes de l’époque moderne ont voulu
opposer Modernité à Islam et ils ont trouvé la formule qui laisserait entendre
une sorte de «scientisme» qui serait à l’opposé du «religieux». Une
bonne manière de refuser à la pensée islamique moderne de s’approprier les avancées
techniques, scientifiques et politiques (démocratie) de l’Humanité. On oubliait
du coup que l’apport de l’âge d’or musulman (Khalifats Omeyade et Abbasside,
notamment) est l’un des socles de cette civilisation moderne.
Pour
revenir à la situation mauritanienne, il faut remarquer que de temps en temps,
le débat revient sur la scène publique. Dans les années 60 et 70, le mouvement
des Kadihine a été accusé par ses concurrents et par les autorités d’être d’essence
athée. Ce n’est pas absolument faux, mais personne dans le mouvement n’a
finalement affiché publiquement son a-religiosité. Plus tard, les Baathistes
seront accusés d’adopter une démarche «socialiste laïque». Ce qui ne
voulait rien dire dans un environnement comme le nôtre. D’ailleurs on a vu
comment cela a fini : avec la profession de foi islamique au milieu du
drapeau irakien et la revendication d’une profonde religiosité pour les
militants. Puis vint le tour des jeunes du Mouvement des démocrates
indépendants (MDI, futur Conscience et Résistance) qui ont assumé un moment, l’espace
de l’adolescence du mouvement. Ils sont pour la plupart aujourd’hui «rangés»
et plus question pour eux d’exprimer publiquement cette attitude assimilée ou
non à l’athéisme. Quelques indépendants – souvent des jeunes mal formés
intellectuellement – ont exprimé ici et là des attitudes antireligieuses. Ce
fut toujours sans lendemain parce que cela découlait d’un mouvement d’humeur, d’une
attitude rebelle plus que d’un cheminement intellectuel soutenu par une solide
culture iconoclaste.
Remettre
la laïcité au centre du débat en Mauritanie est une perte de temps. Le débat
est ailleurs. Il est au niveau de la refondation de l’Etat citoyen garantissant
l’égalité, la justice, la liberté à tous, la libération de tous les jougs, l’épanouissement,
l’émancipation de tous les génies… Le débat, le vrai, est celui qui dénonce le
sectarisme, la mainmise de la tribu, de l’ethnie, l’ordre de l’arbitraire, l’esclavage,
l’exclusion…, et qui cherche à asseoir définitivement une société égalitaire et
juste.
Le débat qui s’impose doit être autour de la liberté d’expression.
Comment équilibrer entre ce droit à tout dire, y compris des bêtises, et la
nécessité de respecter l’autre ? comment laisser ceux qui ont envie (ou
besoin) de dire des bêtises, de les dire et actionner a posteriori les lois qui
sont là pour fixer les règles équitables pour la société ? comment ne pas
revendiquer une demande de contrôle ou de limitation préalable, mais d’exiger
de rendre compte après ? comment – et c’est un problème fondamental en
Mauritanie – en finir avec l’impunité qui fait que tout un chacun peut dire et
faire sans craindre de rendre un compte un jour ?