Un
jour pas comme les autres. Le 28 novembre 1960, Me Moktar Ould Daddah déclarait
«solennellement» l’indépendance de la
République Islamique de Mauritanie. Dans un hangar préparé à l’occasion. Tout était
à faire. Tout fut lancé. Pas besoin de revenir sur les échecs de cette période.
Ni sur les dérives qui suivirent le coup d’Eta de 1978. On en a tellement parlé
par le passé. Mais permettez-moi de revenir sur un posting qui date d’août 2011
et qui célébrait un martyr de l’indépendance – le seul martyr de l’indépendance ?
Peut-être. C’est même certain malgré tout ce que vous entendez ces jours-ci de
célébrations de noms qui ont soit appartenu à la génération des résistants à la
colonisation, soit à celle qui n’a finalement pas cru qu’une Mauritanie
indépendante était possible. Rappel :
«Qui a tué Abdallahi Ould Oubeid ?
Peu de Mauritaniens connaissent ce nom alors
qu’il mérite la célébration. Mais toute la cacophonie produite à l’occasion du
cinquantenaire a oublié de le mentionner dans l’histoire officielle. Alors
qu’elle a célébré ceux parmi ses contemporains qui avaient milité CONTRE
l’indépendance du pays…
Abdallahi Ould Oubeid est le premier maire de la ville d’Atar,
député militant du Parti du regroupement mauritanien (PRM), anti-nahdiste
primaire (contre le parti Nahda, nationaliste). Il a été mis en avant dans la campagne
officielle visant à contrecarrer la propagande des militants de l’annexion de
la Mauritanie par le Maroc. C’était à la veille de l’indépendance.
Sur le plan local, Ould Oubeid était un militant de la
citoyenneté contre le notabilisme. C’est comme ça que l’histoire locale l’a
retenu comme un rebelle à l’ordre traditionnel. Je vous le dit pour expliquer
les premières orientations de l’enquête après son assassinat. L’administration
qui était encore française, avait dirigé l’enquête vers la mouvance nahdiste,
sinon les militants pro-marocains, arrêtant ici et là des agents soi-disant
infiltrés de l’extérieur. Officieusement, elle a laissé courir la rumeur selon
laquelle son meurtre était lié à ses engagements locaux. Et si ce n’était rien
de tout ça ?
Un ami m’a rapporté les propos d’un témoin de l’époque. Il
disait que, dans la perspective de l’accession du pays à l’indépendance,
Abdallahi Ould Oubeid avait redoublé d’activisme. Allant jusqu’à préparer
l’entrée en service de «l’ordre mauritanien». Lui, le maire d’Atar, avait
signifié aux administrateurs coloniaux, aux militaires et éléments des forces
de sécurité, qu’il n’était plus question d’afficher leurs pratiques dans les
rues de la ville. C’est ainsi qu’il avait, à plusieurs reprises, «grondé» les chefs
d’hier pour les apéritifs qu’ils prenaient sur les balcons de leurs demeures
exposées aux passants. Une fois, l’un des gendarmes s’en était violemment pris
à lui pour le dissuader de continuer à importuner ses compatriotes. Ce à quoi,
Ould Oubeid avait répondu avec violence. On parle même d’un geste d’agression.
Toujours est-il que c’est ce gendarme qui proféra des menaces précises à
l’encontre de l’homme.
Quand il apprit que le député-maire était parti à Nouakchott,
il aurait dit publiquement : «Je m’en occupe, je vais le liquider à
Nouakchott». C’est au cours de ce voyage que Ould Oubeid est mort. Il était
alors facile de mettre cela sur le dos des activistes agissant à partir du
Maroc, ou laisser entendre qu’il s’agit d’un règlement de compte local.
Toujours est-il que le député-maire, décrit par feu Moktar
Ould Daddah comme étant "un fervent nationaliste, débordant de
patriotisme", dérangeait tout le monde. Le 8 novembre 1960, alors que
venait de s’ouvrir la session de l’Assemblée nationale consacrée à la
ratification de l’accord portant transfert des compétences – mauritanisation de
l’autorité -, Abdallahi Ould Oubeid est assassiné dans les rues de l’ancien
Ksar.
Ce témoignage apporte un nouvel éclairage à l’énigme de
l’assassinat de ce nationaliste, seule «mort de l’indépendance» et qui, malgré
cela n’a pas été célébré lors du cinquantenaire. Il est vrai qu’une rue à Atar,
une autre à Nouakchott portent son nom mais ce n’est pas suffisant. Il est
temps à mon avis de le rehausser au rang de «martyr de l’indépendance». Ce
n’est que justice.»
Depuis le cinquantenaire, rien n’a été fait pour consacrer l’homme. C’est
pourquoi je le rappelle. Comme une objection de conscience et pour ne pas
oublier ceux qui ont cru à la Mauritanie.