La
première grande œuvre du journaliste, essayiste, romancier, homme de théâtre et
philosophe Albert Camus, est sans doute «La Peste». C’est sans doute
aussi son œuvre majeure. C’est surtout celle qui permettait aux élèves que nous
fumes d’entrer dans l’univers de Camus. En classe de terminale déjà… c’était
loin tout ça… quand on enseignait encore la philosophie dans les lycées
publics, quand les élèves pouvaient encore réfléchir, lire, encore réfléchir,
discuter, rendre ce qu’ils ont lu… Autant dire que cela faisait longtemps. A
peine si ce n’est pas comparable à ce temps où les bêtes parlaient encore.
Le
docteur Rieux et le Père Panelou, deux idées de la vie, deux conceptions qui
s’opposent et qui sont exprimées par le discours autour de La Peste.
Pour l’homme d’église, ce mal est généré par une colère divine causée par les
provocations et les comportements tendancieux des hommes. Pour le scientifique,
il s’agit d’une épidémie qui, de temps en temps, frappe et se répand. Et quand
il est pris par le vertige du souvenir du cycle meurtrier, le docteur ouvre sa
fenêtre et reçoit en plein les bruits de la vie quotidienne : les gens qui
s’activent, chacun apportant un savoir-faire, un élément de cette vie qui fait
un tout… Là réside la force de l’homme : chacun doit accomplir sa part de
responsabilité par le travail qu’il sait le mieux faire. Lui, le docteur n’a
plus qu’à faire face à l’épidémie en tentant de l’éradiquer.
Nous
apprenons alors, sans systématisation, que Camus n’est pas Sartre. Autant ce
dernier nous parait «difficile à lire», quelque peu «nauséabond»,
toujours «écœurant», autant le second était «fréquentable», «lisible»,
«réconfortant»… autant l’un était désespérant, autant l’autre était
prometteur… La perception ici est celle du lycéen que j’étais. Un lycéen qui
découvrait avec délectation la philosophie existentialiste qui nous donnait
l’impression de pouvoir nous libérer du diktat de la pensée des Lumières qui
finissait par se scléroser pour devenir plutôt un carcan porteur de
conservatismes «bourgeois». Mais à l’intérieur des «idéologues»
de l’existentialisme, on faisait déjà la différence entre ceux dont la
réflexion ne mène nulle part parce qu’elle est éternel questionnement devant la
vie, et ceux dont la pensée pousse vers la culture d’un optimisme permettant de
croire à un avenir possible. Les premiers sont «pétrifiés» par
l’incapacité à sortir de «l’absurde» de la condition humaine, les
seconds en sortent par la proposition d’action. L’absurde mène fatalement à
l’inaction parce qu’il installe dans le tourbillon de la désespérance.
Dans
L’Envers et l’Endroit, Camus écrit : «Il y avait une fois une
femme que la mort de son mari avait rendue pauvre avec deux enfants. Elle avait
vécu chez sa mère, également pauvre, avec un frère infirme qui était ouvrier.
Elle avait travaillé pour vivre, ait des ménages et avait remis l’éducation de
ses enfants dans les mains de sa mère. Rude, orgueilleuse, dominatrice,
celle-ci les éleva à la dure». Il
choisit de raconter sa vie comme on raconterait un triste conte qui finit
pourtant de manière heureuse. Lui qui dira, rendant hommage à l’instituteur qui
le prit sous sa coupe, «voilà l’homme qui tendit la main à un pauvre petit
garçon pour l’aider à sortir de sa misère…»
Albert
Camus a fini par devenir «Camus», l’auteur d’une grande réflexion
présentée à travers une grande œuvre qui allie œuvre littéraire et réflexion
philosophique et dont on retiendra : Caligula (1938,
pièce de théâtre); Noces (1939,
recueil d'essais); Le Mythe de Sisyphe (1942,
essai); L'Étranger (1942,
roman); La Peste (1947,
roman); Les Justes (1949,
pièce de théâtre); L'Homme révolté (1951, essai); La Chute (1956,
roman)…
Quelques
citations de Camus :
«Il
y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser» (La
Peste)