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lundi 21 octobre 2013

Leonarda, un prétexte

A peine une semaine après les drames de Lampedusa où près de 400 personnes sont mortes lors de leur traversée méditerranéenne, alors que les larmes coulaient encore et que les blessés et les traumatisés tentaient de retrouver leurs corps et leurs esprits, tandis que les survivants se débattaient encore dans leurs cauchemars, à peine une semaine et voilà qu’éclate l’affaire Leonarda. Du nom de cette jeune fille de 15 ans expulsée avec sa famille par les autorités françaises vers le Kosovo d’où ils sont supposés venir. Une affaire qui éclabousse déjà le Président François Hollande risquant de lui faire perdre le maigre taux de satisfaction (23% selon les derniers sondages) qu’il gardait encore.
Tout commence par une intervention policière au cours d’une expédition scolaire le 9 octobre dernier, intervention qui visait à extraire une jeune fille de 15 ans, Leonarda Dibrani, en vue de l’expulser du territoire français avec sa famille en situation irrégulière.
Quelques jours après, l’affaire est révélée par les associations de l’éducation et par les professeurs de la jeune fille qui trouvaient «inhumaines» et «inacceptables» les conditions dans lesquelles l’opération a été menée. Surtout que la jeune fille a été interpellée «en pleine activité scolaire».
L’occasion pour les détracteurs du ministre de l’intérieur Manuel Valls de l’accabler, lui qui a laissé faire. Pour les antisocialistes de monter au créneau pour dire que rien n’a changé depuis la bande à Sarkozy (Brice Hortefeux, Claude Guéant…), que la même politique est appliquée en matière d’immigration. Une politique visant à séduire dans le camp de l’extrême-droite qui a le vent en poupe. Ce n’est pas pour rien que Manuel Valls reste le plus apprécié des ministres du gouvernement actuel…
L’occasion de voir aussi la Gauche se déchirer en laissant apparaitre ses divergences sur une question fondamentale dans le débat français : l’immigration et la gestion des flux migratoires. Une distance phénoménale sépare les perceptions des Communistes, des Verts et des Socialistes, les Socialistes eux-mêmes restent divisés sur la question.
Mais le plus grand coup est sans aucun doute l’intervention malvenue du Président Hollande lui-même. Cherchant à calmer les esprits, le Président Hollande est sorti de son silence pour, d’une part soutenir son ministre de l’intérieur et, d’autre part proposer à la jeune fille de revenir sans ses parents terminer sa scolarité. Tollé général devant ce qui a été apprécié comme «un chantage fait à une mineure» (ou la France ou sa famille). Le Président n’avait pas besoin de ce faux pas lui qui était déjà au plus fort de sa désaffection par le public.
Mais au-delà des conséquences politiques de l’affaire – conséquences qui peuvent être immédiates avec la démission du ministre de l’intérieur ou «dans le temps» avec les remaniements de plus en plus probables dans l’Appareil politique des Socialistes – peut-on comprendre cette passion pour une affaire qui n’en est pas ? comment se fait-il que médias et opinion publique ne prennent pas la peine d’exposer les faits ? pourquoi se passionner pour des gens qui n’ont aucun mal à trouver refuge (la famille vient de l’Italie où elle ne risquait rien et non du Kosovo) ?
Notons que les drames de Lampedusa n’ont suscité aucun remous au sein de la classe politique européenne, les habitants de l’ile italienne étant les seuls à avoir fait du bruit sur les deux drames. En France, l’élite a regardé de loin si elle n’a pas superbement ignoré ce qui se passait à moins de deux heures de vol de Paris… mais passons.  
D’après les enquêtes menées ici et là, la famille Dibrani est composée de huit membres : le père qui a quitté le Kosovo depuis 35 ans, la mère qui est italienne et les six enfants dont un seulement est né en France, les autres sont nés en Italie. Quand ils sont venus s’installer en France, ils ont prétendu venir d’un Kosovo encore instable. Pour éviter d’être contredits, ils avaient déchiré leurs papiers italiens. Le père cherchant à profiter des subventions promises en France à tout demandeur d’asile ayant régularisé sa situation. Il y comptait tellement qu’il refusait toute proposition de travail. C’est cette première constatation qui fonde les conclusions du rapport administratif aujourd’hui mis en ligne par le ministère de l’intérieur : «La décision d’éloigner la famille Dibrani est justifiée en droit ; aucun des recours de M. Dibrani n’a été jugé recevable». Parce que «M. Dibrani n’a jamais donné suite aux propositions d’embauche qui lui étaient faites, et il ne cachait pas attendre le versement des prestations familiales qui suivraient sa régularisation pour assurer un revenu à sa famille».
Impliqué plusieurs fois dans des affaires de vol, le père a toujours eu des versions différentes de son passé et de sa provenance. Il a toujours affiché un mépris total des lois françaises. Le piteux état dans lequel la famille a laissé l’appartement qu’elle occupait au titre de demandeur d’asile, indique une volonté de prédation avérée : selon les rapports, sa réoccupation nécessite de grands travaux préalables.
Sa fille, Leonarda Dibrani, séchait régulièrement les cours et découchait tout aussi régulièrement. «Selon les données recueillies par la mission, les absences de Leonarda au collège dont de 66 demi-journées en 6ème, 31 en 5ème, 78 en 4ème et 21 ½ depuis le début de l’année scolaire actuelle». On est loin de l’image angélique présentée par les médias.
Que les policiers n’aient «pas fait preuve du discernement nécessaire» lors de l’exécution de la décision, est un fait mais il reste qu’ils ont appliqué une décision judiciaire plusieurs fois confirmée. Alors ?
Je suis toujours surpris par ces émois collectifs qui secouent de temps en temps les opinions publiques occidentales en général, françaises en particulier. Des émois sélectifs souvent. Quand on s’émeut pour la scolarité interrompue de Leonarda (dont la famille a eu la chance de recourir à des juridictions qui l’ont finalement déboutée), on doit avoir un mot, une pensée pour les milliers d’enfants libyens privés parfois à jamais de leur scolarité à cause des bombes françaises lâchées par des avions français dans une bataille qui ne concernait en rien la France.
Un mot, une pensée pour les milliers de Syriens déchirés, assassinés, qui voient leurs écoles détruites, leur avenir à jamais compromis parce que la France et derrière elle une partie de l’Occident, a jugé qu’elle avait un devoir moral d’armer une partie contre l’autre dans un conflit qui n’est pas le sien.  
Un mot, une pensée pour tous ceux qui ont souffert à cause de la folie guerrière des gouvernements français, à cause des soutiens abusifs de l’élite, à cause de l’indifférence générale vis-à-vis de ce qui se passe ailleurs…
S’émouvoir pour Leonarda Dibrani n’absout rien. Ce ne peut être une prophylaxie collective à moindre prix. On n’oubliera pas les milliers de sans-papiers africains et arabes, habitant en France, lui offrant le meilleur d’eux-mêmes et qui n’arrivent pas à bénéficier d’une régularisation de leurs situation. Ni ces milliers de jeunes, diplômés ou non, cherchant à aller en Europe pour trouver de quoi vivre et qui meurent, violemment emportés par des vagues de plus en plus puissantes, de plus en plus hautes… aussi hautes que les murs érigés pour les empêcher d’arriver sur ces terres où ils estiment avoir une chance…